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Cette fois, il ne s’agissait plus d’une reconnaissance ; des troupes nombreuses, des machines de guerre et tout l’attirail d’un siège se dirigeaient contre la place. Pendant l’absence d’Alburquerque, Coronel, perçant au travers des faibles corps d’observation qui l’entouraient, avait plusieurs fois poussé ses courses jusqu’aux portes de Cordoue. Son gendre, don Juan de la Cerda, s’était rendu à Grenade et de là en Afrique, se flattant d’en ramener des secours, mais ses efforts avaient été sans résultats. L’opiniâtreté de Coronel ne servait qu’à prouver sa faiblesse véritable et son isolement. Les villes voisines, exaspérées par les pillages de ses hommes d’armes, envoyaient à l’envi leurs bannières à l’armée royale. L’alliance du roi maure, que sollicitait ouvertement le rebelle, indignait toute l’Andalousie, souvent ravagée par les Arabes, et scandalisait le clergé, qui nommait Alburquerque le défenseur de la religion et de la patrie. Enfin la neutralité des deux bâtards, obtenue par une simple démonstration, prouvait que les mécontens n’étaient point unis entre eux et qu’ils agissaient sans plan arrêté. Il suffisait de comparer les forces des deux partis pour présager l’issue de la lutte.

Dès que le roi parut devant Aguilar, les attaques furent poussées avec vigueur. D’abord les assiégés se défendirent bravement. Il fallut plusieurs mois pour s’emparer des ouvrages extérieurs, niveler le terrain et faire avancer les machines au pied du rempart. On commença à battre en brèche. Alors le découragement s’empara de la garnison. Nul secours n’arrivait ; les Maures de Grenade renouvelaient leurs protestations pacifiques au roi de Castille ; ceux d’outre-mer ne montraient, pas moins de répugnance à rompre les trêves. Les murs allaient céder au bélier et à la sape ; on calculait le moment où la brèche serait praticable. Tandis que les soldats mercenaires de Coronel ne pensaient qu’à s’échapper d’une place impossible à défendre, et que chaque jour de nombreux déserteurs imploraient la merci des assaillans, Juan Fernandez de Canedo, l’ancien gouverneur de Burguillos, se présenta hardiment devant don Pèdre. A peine rétabli de l’horrible mutilation qu’il avait subie, il venait avec une incroyable audace demander au roi la permission d’entrer dans Aguilar, pour y mourir auprès de son seigneur. Cette grace lui fut accordée, et sa fidélité héroïque arracha l’admiration de ses ennemis mêmes. On enviait à Coronel la gloire d’inspirer de pareils dévouemens. Chacun attendait avec anxiété les derniers instans d’un homme que toute la Castille était habituée à regarder comme un modèle accompli du preux chevalier.

Tout était préparé pour l’assaut, les postes assignés, l’heure fixée pour monter à la brèche. Pendant l’espèce de trêve tacite qui précède un combat décisif, le chambellan du roi, Gutier Fernandez, ancien ami du seigneur d’Aguilar, l’aperçut sur le rempart occupé à donner ses