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lui-même, effrayé, n’osa pas demeurer plus long-temps dans les Asturies, et vint chercher un refuge sur le territoire portugais. Après les exécutions vinrent les récompenses. Pour prix de son dévouement au ministre, Manrique obtint la charge d’adelantade de Castille[1], que possédait Garci Laso.

Ce n’était pas assez pour Alburquerque d’abaisser et de dissiper la faction des Lara, il voulait encore exterminer toute la race de son ennemi. Don Juan Nuñez laissait deux filles, dont l’une, ainsi qu’on l’a vu, était fiancée à don Telle, et un fils nommé don Nuño, alors âgé de trois ans seulement. Confié aux soins de doña Mencia, dame d’une famille considérable de Biscaïe, cet enfant était élevé à Paredes de Nava, dans le royaume de Léon. Lorsque le bruit de l’assassinat de Garci Laso se fut répandu dans la province, doña Mencia, comprenant quels périls menaçaient l’héritier de son seigneur, s’empressa de le dérober à ses ennemis. La Biscaïe, dont les habitans, jaloux de leur indépendance, étaient fort attachés à la mémoire de leur ancien chef, lui parut l’asile le plus assuré, et d’ailleurs son mari, Martin Ruiz d’Avendaño, y avait exercé une influence considérable[2]. Elle y conduisit son pupille le plus secrètement qu’il lui fut possible. Mais déjà sur leurs traces couraient les émissaires d’Alburquerque, et le roi lui-même, dont l’activité irréfléchie était toujours prête à seconder les projets cruels de son ministre. Don Pèdre, poursuivant le noble enfant avec l’ardeur d’un chasseur qui suit sa proie à la piste, pensa l’atteindre au passage de l’Èbre. Heureusement les fugitifs, ayant quelques heures d’avance, parvinrent à rompre un pont, et dès-lors, sans inquiétude, ils gagnèrent le port de Bermeo, d’où, en cas de nécessité, ils auraient pu s’embarquer pour la Guyenne ou pour le royaume de France. Cependant les Biscaïens, émus de voir le fils de leur ancien seigneur proscrit et persécuté, éclataient en murmures. Un fils de doña Mencia, Juan de Avendaño, appelant aux armes ses compatriotes, commença de se fortifier dans ces âpres montagnes, citadelles imprenables des libertés de la Biscaïe. C’était une entreprise grave, presque téméraire, même pour un roi de Castille, que de s’attaquer à un peuple courageux, passionné pour son antique indépendance, et toujours dévoué à ses chefs nationaux. Alburquerque dut renoncer à suivre le jeune Nuño ; il ramena le roi en Castille, remettant à don Lope de Rojas, avec le titre de prestamero mayor[3], le soin de négocier l’extradition ou l’éloignement de

  1. Lieutenant-général.
  2. Ayala, p. 41. Cfr. avec l’Abreviada, p. 43, note.
  3. Titre correspondant sous quelques rapports à celui de vidame ; on le donnait proprement à un seigneur jouissant de bénéfices ecclésiastiques. L’importance de cette charge et ses attributions variaient suivant les provinces. Le prestamero mayor de Biscaïe, était un des grands officiers de la couronne, et réunissait alors des pouvoirs civils et militaires assez étendus.