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hommes dans la force de l’âge eût fait planer sans doute d’odieux soupçons sur leurs adversaires. Cependant je ne trouve dans aucun auteur contemporain la moindre insinuation contre Alburquerque, débarrassé ainsi dans un seul jour de l’obstacle qui pouvait arrêter l’essor de son ambition. Ce respect général pour un personnage en butte à tant de jalousies et de haines est un témoignage honorable qu’on doit enregistrer comme une exception rare dans les mœurs du XIVe siècle, et qu’il serait souverainement injuste de prétendre infirmer aujourd’hui.

Délivré de don Juan Nouez, dominant l’infant d’Aragon et la reine Marie, Alburquerque put se croire désormais seul maître en Castille. Le jeune roi ne prenait aucune part au gouvernement. Il ne connaissait d’autre occupation que la chasse et passait des journées entières à cheval suivant ses faucons et ses chiens, indifférent au bien comme au mal que son ministre pouvait faire sous son nom. Personne encore ne connaissait son caractère, et sans doute il s’ignorait lui-même. Élevé dans la retraite, on ne lui connaissait aucune passion, aucun goût décidé, si ce n’est celui des exercices violens, ordinaire à son âge. Il avait à peine seize ans.


IV

GOUVERNEMENT D’ALBUQUERQUE. — 1350-1351.


I.

D’après un usage antique devenu loi de l’état, les cortès devaient se réunir au commencement de chaque règne. Le nouveau roi, qui les présidait, apprenait, par les cahiers soumis à son examen, les abus qui s’étaient introduits sous son prédécesseur et les besoins des peuples qu’il allait gouverner. Dès que don Pèdre fut rétabli, les cortès générales furent convoquées à Valladolid. Ce n’était pas sans intention qu’Alburquerque avait désigné cette ville pour y tenir l’assemblée nationale. En s’y rendant, le roi aurait à traverser les provinces signalées par leur attachement à don Juan Nuñez de Lara. Il importait au ministre de s’y montrer accompagné de son souverain, pour y prouver son autorité et pour la faire craindre. Peut-être encore avait-il quelques vengeances particulières à y exercer. Enfin le voisinage des Asturies, où le comte de Trastamare avait trouvé, disait-on, un grand nombre de partisans, justifiait le déploiement de forces considérables qui, d’après ses ordres, allait avoir lieu à l’occasion du voyage du roi.

Partant de Séville au commencement du printemps de 1351, le roi se dirigea d’abord vers l’Estramadure[1], afin d’y recevoir l’hommage

  1. Probablement à cette époque les voies romaines subsistaient assez bien conservées pour établir des communications faciles entre les grandes villes d’Espagne. On voit par l’itinéraire d’Antonin qu’une des routes principales entre les provinces du midi et celles du nord part d’Italica pour aller s’embrancher à Mérida (Emerita Augusta) avec la voie qui conduit aux Pyrénées.