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mais encore, chose étrange, parmi tant de riches-hommes et de chevaliers qui, du vivant de don Alphonse, rivalisaient de dévouement pour elle, il ne s’en trouva pas un seul qui voulût accepter le gouvernement de son château. En même temps, de tous les côtés, on lui apportait les nouvelles les plus alarmantes. Alburquerque allait faire arrêter ses deux fils, don Henri et don Fadrique, pour les sacrifier peut-être à la haine de la reine Marie. Quelques ennemis de la favorite l’accusaient même de conspirer contre le nouveau roi et de revendiquer la couronne pour son fils aîné, en vertu d’un prétendu mariage avec don Alphonse[1]. Effrayée de son isolement subit, et tremblante pour ses enfans, doña Léonor offrit de livrer son château à don Juan d’Alburquerque, se bornant à demander, comme prix de sa soumission, un sauf-conduit pour se rendre à Séville. Il lui fut accordé sur-le-champ, et, suivant son désir, le seigneur de Lara se porta garant qu’il serait respecté. Peut-être espérait-elle désarmer son ancienne rivale en s’humiliant à ses pieds ; plus probablement elle voulait mettre en sûreté les sommes d’argent et les riches pierreries qu’elle tenait de la générosité de don Alphonse, et qui étaient déposées à Séville. Quant aux bâtards, qui avaient accompagné le cortège funèbre depuis Gibraltar jusqu’à Medina-Sidonia, saisis d’une terreur soudaine, ils quittèrent l’armée en secret, et, suivis seulement de quelques cliens dévoués, sans se concerter avec leur mère, ils coururent se réfugier dans le château de Moron, forteresse qui appartenait au maître d’Alcantara, Perez Ponce, leur parent. De là, après une courte délibération, don Henri gagna précipitamment Algéziras, dont le seigneur de Marchena, Pero Ponce, frère du maître d’Alcantara, était gouverneur. En même temps, don Fadrique partait pour Montanches, château de l’ordre de Saint-Jacques ; en sa qualité de maître, il s’en fit ouvrir les portes[2]. Alvar de Guzman, cousin de Léonor, s’enfermait dans Olvera, et Perez Ponce réunissait ses chevaliers et ses vassaux à Moron pour y soutenir un siège ou pour tenter de là quelque expédition. Tous les parens de la favorite se fortifiaient à la hâte, rassemblaient leurs hommes d’armes et se préparaient de leur mieux à la guerre civile. D’un autre côté, Alburquerque et la reine Marie, après avoir célébré les obsèques de don Alphonse, proclamèrent don Pèdre roi de Castille et s’empressèrent de composer sa maison et de pourvoir aux charges de cour[3].

  1. Rades, Cronica de Alcantara, p. 26, attribue en effet ce projet extravagant à doña Leonor. Il me paraît évident qu’il ne fut qu’une invention de ses ennemis ; car jamais dans la suite don Henri ne chercha à faire valoir les droits qu’il aurait eus comme fils légitime de don Alphonse. Cfr. avec Torres y Tapia, Cron. de Alcantara, t. II, p. 70 et suivantes.
  2. Rades, Cron. de Alcantara, p. 26. Cfr. avec la Cronica de Santiago du même auteur, p. 45.
  3. Voici, d’après Arala, les noms de quelques-uns des grands-officiers de la couronne à l’avènement de don Pèdre : Don Juan Nuñez de Lara, alferez-major (grand-porte-bannière) et grand majordome ; — don Garci Laso de la Vega, grand-adelantade (lieutenant-général) de Castille, en remplacement de Fernand Perez Porto Carrero, nommé grand-maître d’hôtel à la place du précédent ; — Gutier Ferrandez de Tolède, guarda-mayor, ou capitaine des gardes, en remplacement de Lope Diaz de Almazan ; -Alonso Fernandez Coronel, grand-échanson ; — Pero Suarez de Tolède, grand-chambellan ; — Pero Suarez de Tolède, le jeune, repostero-mayor (maître d’hôtel) ; — Don Fernand d’Aragon, adelantade de la frontière en remplacement de don Fadrique (commandant-général des troupes sur la frontière de Grenade) ; — don Fernand Manuel de Villena, adelantade de Murcie ; — don Juan Alonso de Alburquerque, grand-chancelier et trésorier. — Le seigneur de Villena, Garci Laso, et Alonso Coronel, étaient les créatures de don Juan Nuñez. Les autres peuvent être considérés comme plus ou moins ouvertement attachés à don Juan d’Alburquerque. Voyez Ayala, p. 17.