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prince grenadin joignait ses armes à celles de don Alphonse[1]. On n’aperçoit chez les chroniqueurs contemporains ni surprise, ni indignation contre de pareilles alliances, ou, si quelque blâme est exprimé, c’est seulement la déloyauté qu’on accuse et non l’irréligion.

Il y avait pourtant plus d’un siècle que l’inquisition était établie en Espagne, mais son pouvoir était loin d’être alors ce qu’il devint dans la suite. A peine découvre-t-on quelques traces de son existence. Dans le royaume d’Aragon, on trouve, il est vrai, des tribunaux spécialement institués pour connaître du crime d’hérésie. Probablement depuis qu’un roi d’Aragon avait pris les armes en faveur des Albigeois, ce pays était devenu suspect au saint-siège. Néanmoins les procès, comme il semble, y étaient fort rares et presque uniquement intentés à des réformateurs, enthousiastes furieux, qui voulaient faire des prosélytes ou plutôt troubler le culte de leurs concitoyens. Quant aux Juifs et aux Maures, loin d’être l’objet d’aucune persécution, ils ne devenaient justiciables du saint-office que lorsque, par leurs paroles ou leurs écrits, ils cherchaient à détourner les chrétiens de la foi de leurs pères ; encore fallait-il que les rois autorisassent formellement les poursuites. Or, ils se montraient en général si peu disposés à laisser prendre au clergé une influence dominatrice, que l’on voit, en 1350, Pierre IV, roi d’Aragon, interdire rigoureusement aux ecclésiastiques d’empiéter sur la juridiction séculière[2]. La Castille, demeurée complètement exempte de l’hérésie albigeoise, n’eut des inquisiteurs que de nom. Les hérétiques, s’il s’en trouvait dans ce royaume, avaient pour juges des évêques procédant selon le droit canonique, et non des moines dominicains comme en Aragon[3]. Au reste, dans toute l’Espagne, il ne paraît pas que la conversion des infidèles fût chaudement poursuivie, soit par des mesures de rigueur, soit par la persuasion. Quel intérêt auraient eu les rois à favoriser le zèle apostolique qui tendait à diminuer leurs revenus ? car les Maures et les Juifs payaient une taxe un peu plus forte que les chrétiens.

Si la foi n’était pas ardente en Espagne, la religion n’y avait pas de contradicteurs déclarés. Peut-être doit-on attribuer à cette tiédeur générale le rôle très secondaire du clergé dans tous les débats politiques du XIVe siècle. Il faut, en outre, observer que les hauts dignitaires ecclésiastiques, appartenant à l’ordre de la noblesse, propriétaires, comme les riches-hommes, de villes et de châteaux, avaient les mêmes intérêts, les mêmes passions, et par conséquent étaient mal qualifiés pour

  1. Cronica de don Alfonso XI, p. 100-115. — Mariana, I, 707-713. Id., I, 813.
  2. Privilège de Val., fol. 119 (Barcelone, 31 juillet 1350). Manuscrit de la Bibliothèque de l’Académie de l’Histoire.
  3. Llorente, Histoire de l’Inquisition, I, 106.>