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des sermens solennels à se prêter secours et à réunir toutes leurs farces pour assurer le maintien de leurs privilèges et la conservation de leurs riches apanages[1]. D’après le texte de leur constitution, les chevaliers devaient élire librement leurs maîtres ; mais de bonne heure les rois cherchèrent à exercer une influence sur ces nominations ; de là des schismes, des divisions intestines dans les ordres, enfin la guerre civile, conclusion ordinaire au moyen-âge de toutes les difficultés inhérentes à des institutions défectueuses[2]. Il y avait des chevaleries particulières à chaque royaume de l’Espagne. Les plus célèbres, Saint-Jacques, Calatrava et Alcantara, avaient leur chef-lieu en Castille et pouvaient être considérées comme sujettes de cette couronne ; cependant elles avaient dans d’autres royaumes des possessions souvent très considérables. A l’ordre de Saint-Jacques, par exemple, appartenaient plusieurs commanderies fort importantes en Aragon, principalement dans le royaume de Valence. Quand la bannière de l’ordre marchait contre les infidèles, tous les chevaliers, quelle que fût leur patrie, devaient monter à cheval sur l’appel de leur maître ; mais le cas de guerre entre princes chrétiens n’avait pas été prévu par les statuts de fondation. Alors, pour quelques-uns des frères, il fallait opter entre la fidélité due au roi dont ils étaient les sujets et l’obéissance dont ils avaient prêté le serment au chef de leur ordre. En tout temps, chaque élection à ces commanderies étrangères devenait le motif de vives contestations entre les couronnes intéressées, et menaçait d’exciter les conflits les plus sérieux.

Auprès des riches-hommes, les fidalgos ou gentilshommes tenaient un rang analogue à celui des premiers auprès des rois. Chaque seigneur avait dans sa dépendance un certain nombre de gentilshommes qui lui rendaient hommage et tenaient de lui des terres à fief. A leur tour, ces gentilshommes avaient des vassaux, en sorte que le laboureur avait plusieurs suzerains, dont souvent les ordres étaient contradictoires. On voit que les institutions du moyen-âge donnaient lieu à d’étranges complications dont la violence seule amenait le dénoûment. Néanmoins les lois et les usages nationaux prescrivaient au vassal,

  1. Voici quelques passages d’un traité d’alliance entre les trois maîtres de Saint-Jacques, Calatrava et Alcantara, daté de la Puebla de Chillon, 2 avril 1318 : « Ordonnons et établissons que nous serons tous unis et d’accord pour demander à notre seigneur le roi don Alphonse qu’il maintienne nos privilèges, libertés, usages et coutumes, et les franchises de nos terres… Que si quelqu’un, de quelque condition qu’il soit, entreprend contre un d’entre nous, ou contre un de nos frères, ou contre nos terres et nos vassaux, ou contre chose à nous appartenant, nous faisant tort et injustice, nous serons tous unis pour le défier (querellallo), l’affronter et l’empêcher de nous nuire. » Coleccion diplomatica de Abella, bibl. de l’Académie de l’Histoire à Madrid.
  2. Il y avait souvent deux maîtres élus à la fois par deux partis et se faisant la guerre. V. Rades, Cronica de las tres ordenes.