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temps encore une lutte inégale ; mais déjà un découragement fatal s’était emparé des princes grenadins. Ils semblaient prévoir leur sort et s’y résigner comme à un arrêt du ciel. Plusieurs avaient essayé de désarmer les rois de Castille en reconnaissant leur suzeraineté et en leur payant un tribut. Pour les soustraire à ce joug humiliant, il fallait que de nouveaux aventuriers, accourant des rivages de l’Afrique, poussés par le fanatisme et l’espoir du butin, vinssent proclamer la guerre sainte et rallumer quelques étincelles d’une ardeur étouffée par de longs revers..


II.

Les institutions politiques des quatre royaumes chrétiens offraient entre elles une grande analogie. L’autorité royale y était tempérée d’abord par la puissance des grands vassaux, puis par celle des communes ou conseils de villes (concejos). Les rois n’avaient d’autres revenus que leur apanage propre et les contributions librement votées par les villes pour un objet déterminé[1]. En Espagne, comme dans tout le reste de l’Europe, les grands vassaux ou les riches-hommes (ricos omes) étaient exempts de la plupart des impôts[2], mais ils devaient au roi un service militaire. Dans toutes les circonstances importantes, le roi réunissait en assemblée nationale les différens ordres de l’état pour leur exposer ses projets et leur demander les moyens de les mettre à exécution. C’était alors que les membres de chaque ordre lui exprimaient leurs vœux et lui remettaient des cahiers contenant leurs plaintes ou leurs demandes. La réponse du roi, lorsqu’elle était conforme au vœu manifesté, devenait loi de l’état. Dans ces grandes assemblées nationales, nommées cours (cortes), les riches-hommes et les membres principaux du clergé, en personne ou par leurs mandataires[3], furent d’abord les seuls conseillers du monarque. Bientôt les députés des villes y furent appelés à leur tour ; dès qu’ils y parurent une fois, ils y jouèrent le rôle le plus considérable, et leur présence fut regardée comme essentielle à la validité de ces grandes réunions. Désormais, les affaires d’état ne se traitèrent plus sans leur concours ; bien plus, ce fut presque uniquement entre eux et les rois qu’elles se discutèrent[4]. En Castille, l’intervention des riches-hommes et des prélats n’était pas regardée comme absolument indispensable à la constitution régulière des cortès[5]. Ordinairement même ils n’y prenaient place que sur l’ordre

  1. Marina, Teoria de las Cortes, parte II, cap. XXXI.- Cortes de Medina del campo, peticion, 56.
  2. Cortes de Valladolid. Ord. de fijosdalgo, peticion 8.
  3. Marina, part. I, cap. X.
  4. Marina, ibid.
  5. Au contraire, en Aragon et en Catalogne, si l’un des trois ordres ou bras (brazo) n’était pas représenté, l’assemblée ne pouvait prendre aucune décision légale. Voir Capmany, Memorias historicas, I, Apendice, 10-14.