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possède encore de lui un traité de fauconnerie fort estimé, car il réunissait au savoir d’un clerc les connaissances mondaines dont se piquaient alors les grands seigneurs. Son expérience dans le noble art de la chasse ne contribua pas peu, dit-on, à lui concilier les bonnes graces des quatre rois sous lesquels il vécut[1].

Cette faveur constante d’Ayala sous Henri II et ses successeurs est, à vrai dire, le seul motif qu’on allègue pour l’accuser de calomnie à l’égard de don Pèdre. En effet, personne n’a pu le convaincre d’avoir falsifié la vérité dans ses écrits sciemment et à maligne intention ; au contraire, les auteurs mêmes qui l’ont combattu se sont servis de son ouvrage, et, pour n’en citer qu’un seul, le principal apologiste de don Pèdre, le comte de la Roca, l’a copié sans cesse, tout en l’accusant de mensonge. J’examinerai tout à l’heure l’absurde compilation qu’on a opposée à l’histoire d’Ayala, et pour le moment je ne m’occuperai que de répondre à l’accusation générale de partialité par laquelle on a prétendu mettre en suspicion notre chroniqueur.

Un reproche qui ne se fonde sur aucun fait précis est, par son vague même, difficile à réfuter. Sans doute Ayala, spectateur et acteur dans une grande révolution, proscrit par don Pèdre, traité par don Henri avec faveur, n’a pu toujours s’empêcher de laisser voir de quel côté étaient ses affections ; mais a-t-il jamais tenté de déguiser les fautes ou les crimes du prince pour lequel il combattit ? Les écrivains qui ont porté le jugement le plus sévère sur don Henri ont-ils eu besoin de chercher leurs argumens et leurs preuves ailleurs que dans la chronique même d’Ayala ? Il écrivit l’histoire comme on l’écrivait au XIVe siècle ; il raconta, sans prétendre juger les hommes. Au milieu de ses récits, il est bien rare que l’opinion personnelle de l’auteur se fasse jour, et s’il se laisse entraîner parfois à quelques courtes réflexions, j’en appelle à tout lecteur impartial, le sentiment qu’il exprime est toujours celui d’un honnête homme. Je ne disconviens pas qu’on ne puisse le reprendre de s’être rendu l’écho de rumeurs accréditées de son temps, et pour nous à bon droit suspectes, mais on remarquera que, dans de telles occasions, il n’affirme point, et qu’il cite ses autorités, si l’on peut donner ce nom à des bruits populaires. D’ailleurs, faut-il s’étonner que la vérité s’altère en pénétrant dans un camp ennemi ? A mon sentiment, on doit plutôt admirer qu’il ait pris tant de soins pour la découvrir, et que dans son ouvrage les passions de son époque et de son parti aient laissé si peu de traces.

C’est peut-être ici le lieu d’indiquer quelques variantes remarquables qui existent entres les différentes éditions, ou plutôt entre les manuscrits de la chronique d’Ayala. On en connaît deux copies principales, que je désignerai, d’après les auteurs espagnols, par les noms de Vulgaire et

  1. Bibl. Hispana vestus. Nic. Antonio, lib X, cap. I.