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sur les monumens mêmes, d’irrécusables témoins attestant que les temples grecs étaient couverts de peintures, cette raison serait très forte et presque suffisante pour l’artiste qui, entrant dans la pensée des anciens, jugerait par elle leur architecture et sentirait avec eux leurs propres œuvres. Aussi l’on ne peut guère prendre à la lettre l’opinion de M. Raoul-Rochette et de Q. de Quincy, dont l’un avance sans preuves que la peinture sur bois occupait une place beaucoup plus grande que la peinture murale dans la décoration des édifices publics, et dont l’autre pense que la sculpture a plus d’importance que la peinture pour l’ornement des temples de la Grèce. La peinture sur bois, si tant est qu’il y en eût dans le Parthénon, ne pouvait consister que dans un petit nombre de tableaux suspendus aux murs de la cella et peut-être de l’opisthodome, tandis que ces murs mêmes, soit au dedans, soit au dehors, les colonnades, les entablemens, les sculptures, en un mot le temple tout entier était couvert de peintures murales faisant disparaître entièrement la blancheur du marbre[1].

D’ailleurs, il faut n’avoir vécu que dans les pays du nord, il faut avoir accoutumé sa vue à la nuit, pour concevoir qu’en Grèce un temple puisse demeurer blanc. On eût parlé aux Grecs de temples sans couleur, il est croyable que, habitués à leur lumière éblouissante et à la nature si chaude et si animée de leur pays, ils eussent éprouvé cet étonnement que nous éprouvons nous-mêmes aujourd’hui à l’idée d’un temple couvert extérieurement de peintures. Sous le ciel d’Athènes, la puissante nature de la Grèce nous domine bientôt, nous absorbe en quelque sorte et nous fait vivre de sa vie ; notre esprit s’habitue comme nos organes à ces plaines embrasées, à ces montagnes nues sur lesquelles, disaient les anciens, marche le soleil, à cette atmosphère transparente qui rapproche les objets, en arrête les contours, et que les vibrations de la chaleur rendent visible et comme palpable. La vie est partout dans ces plaines désertes de l’Attique et sur ces montagnes de marbre ; mais quelle vie ? Ce n’est point la vie froide et languissante de nos contrées qui, née au milieu des eaux et croissant à l’ombre des nuages, se resserre encore et s’engourdit sous les neiges de l’hiver ; cette vie, c’est celle qui anime les productions naturelles des climats chauds, qui peint de couleurs riches et tranchées les animaux et les plantes, qui développe outre mesure les instincts des uns et les vertus des autres ; cette vie, en un mot, c’est la lumière et la chaleur. Pour qui s’est laissé pénétrer par elle et n’a pas prétendu trouver avec effort, dans une telle nature, les preuves d’un système imaginé ailleurs, pour celui-là il est impossible de concevoir que les temples antiques aient été blancs. Pourquoi vouloir que les hommes pensent et sentent comme nous dans tous les pays ? Le mieux en tout, c’est de ne point vouloir façonner les

  1. Toutes ces peintures présentaient des couleurs vives et tranchées. M. Pacard en a recueilli sur toutes les parties extérieures du temple sans exception. Le jaune est très abondant sur les colonnes, et le bleu sur les triglyphes. Ces peintures sont appliquées par couches, à l’encaustique ; la surface exposée à l’air est cachée par la poussière, mais la surface appliquée au mur a conservé son éclat. L’épaisseur totale de ces couches est de près d’un millimètre. L’usage de peindre les temples était général en Grèce. Outre les exemples cités par les auteurs, on en trouve dans presque toutes les ruines de ce pays. Nous-même avons remarqué que les colonnes du temple de Jupiter à Égine étaient couvertes d’un stuc jaune ; certaines parties de la corniche, gisant à terre, sont encore peintes au minium.