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fils Vandenyver, accusés de quelques-uns des crimes qu’on lui reprochait. L’instruction du procès dura trois séances. Son défenseur était Chauveau-Lagarde. L’acte d’accusation fut dressé par Fouquier-Tinville. Elle fut condamnée à la peine de mort, ainsi que les trois banquiers Vandenyver. Nous remarquons dans ce jugement que l’âge donné à Mme Du Barri, quarante-deux ans, est tout-à-fait impossible, et cette erreur mérite d’autant plus une rectification, qu’elle a été répétée partout. Née en 1744, exécutée en 1793, Mme Du Barri entrait dans sa quarante-neuvième année.

Elle s’évanouit en poussant un cri terrible lorsqu’elle entendit prononcer l’arrêt qui la condamnait à la peine de mort. Il était onze heures du soir. Le lendemain, Mme Du Barri fut jetée dans le tombereau de l’égalité avec les trois infortunés banquiers hollandais, dont la complicité ne nous a jamais paru très évidente. Elle était pâle, tremblante, folle d’effroi ; elle ne voulait pas mourir, cette pauvre femme qui n’avait jamais fait de mal à personne. Elle suppliait le peuple à travers les flots duquel elle passait ; elle le suppliait avec ses beaux yeux et ses belles mains enchaînées. On lui reproche d’avoir crié en allant au supplice, d’avoir eu peur, comme s’il n’était pas de la femme d’avoir peur et de demander à vivre ! Mais ôtez la peur à la femme, et il ne vous restera qu’une hideuse amazone. La peur complète admirablement Mme Du Barri, cette peur-là, car elle n’eut pas l’autre, celle de s’exposer pour ses amis, on l’a vu. La mort ne l’épouvanta pas, c’est le supplice qui lui fit peur. Que ne l’a-t-on imitée, que n’ont-ils tous crié comme elle, ceux qui allaient à l’échafaud, au lieu de se draper de leur douleur et de se voiler de leur silence ? Si tous les jours, de vingt tombereaux différens, il était sorti des cris d’effroi et d’épouvante, des gémissemens, des appels douloureux, des prises à partie du peuple, le peuple aurait écouté, il se serait attendri, il aurait frémi, il se serait soulevé à la fin, et les tombereaux auraient roulé dans la boue. Encore une fois, la contrefaçon antique avait égaré tout le monde ; un stoïcisme d’emprunt, renouvelé des Grecs, nous a valu trois années de supplices.

Arrivée sur l’échafaud, dressé, comme on ne l’ignore pas, sur la place de la Révolution, Mme la comtesse Du Barri s’écria : Encore un moment, monsieur le bourreau !… encore un moment, monsieur !…

En 1794, après la mort de Mme Du Barri, le château de Luciennes devint propriété nationale, et, à ce titre, il fut adjugé aux enchères, à Versailles, en 1795, pour la somme de six millions en assignats. Le premier acquéreur se nommait M. F. Corbeau. La même année, et pour la même somme, toujours en assignats, M. Corbeau le vendit à M. Julien Ouvrard, dont la célébrité est européenne. La propriété passa successivement à M. de la Rue-Sauviac, à M. Auger, celui qui fit disparaître