Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on ne gêna pas leur curiosité, elles s’approchèrent peu à peu pour voir cette femme dont on parlait au fond des couvens et sur le trône du grand Mogol. — C’est donc là Mme Du Barri ? se demandaient-elles les mains jointes, les yeux attentifs, les lèvres ouvertes, le cou tendu ; c’est vous, madame ? — C’est bien moi, mes enfans, et elle leur présentait sa belle main blanche de courtisane et de favorite. Et les jeunes recluses osaient alors s’approcher encore un peu plus pour admirer ses pieds si jolis, ses yeux si somnolens et si doux, et sa toilette si délicate ; elle s’était mise bien simplement pourtant, mais la simplicité de Mme Du Barri… Elle dit des choses charmantes à ces curieuses ingénues ; elle écouta tendrement les choses pieuses qu’elles lui dirent. Quel tableau expressif, clair, intéressant et fait pour attacher l’attention et la pensée !

La voilà donc cloîtrée et si bien résignée, qu’elle s’occupe avec calme, dans cette antique abbaye, de ses affaires d’intérêts ; il est sans doute question de quelque rente ou pension à toucher dans la lettre suivante que nous détachons d’une collection d’autographes. Elle est curieuse surtout en ce qu’elle fait connaître le style, l’orthographe et la ponctuation de cette femme célèbre. Cette pièce, que nous exposons dans toute sa nudité grammaticale, appartient à la collection de M. le marquis de Dolomieu.


« Du Pont-aux-Dames, le 17.

« J’ai recu votre lettre monsieur et je suis tres sensible a tout ce quelle contient d’obligant je prie M. du Fauga qui vous remetra ma lettre de vouloir bien ce charcher de retirier tous les mois la some que vous me mandez devoir me revenir que j’enverai ensuite retirer ches lui lors qu’il ne cera plus a Paris j’enverai tout bonement chez vous ou come vous le dites je tirerai des mandats sy jen et besoins je renvoye le modele de votre quitance que jai copiee exactement.

« Jai l’honneur d’être avec une parfaite estime monsieur votre tres humble et obeïssante servante

« DUBARY. »


Mme Du Barri fut parfaite de conduite au couvent de Pont-aux-Dames. Elle pria, elle accomplit toutes ses dévotions, elle écouta les remontrances avec une soumission exemplaire. Enfin, pendant près d’une année entière de réclusion, elle édifia les bonnes sœurs. L’abbesse fut si touchée de cette ferveur, de cette humilité à laquelle elle s’attendait peu, qu’elle permit à la belle recluse de se faire arranger une cellule par l’ingénieux architecte de Luciennes. Ledoux accourut aussitôt à Pont-aux-Dames, et il y construisit une cellule adorable, à ravir d’admiration le chevalier Parny et M. de Boufflers. On savait cela à la cour de Versailles, et on souriait ; la famille royale était bonne.