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comédie qui eut lieu pendant l’agonie de Louis XIV ; quand Louis XV allait mieux, les courtisans allaient en foule à Ruel encenser la favorite ; quand le mieux cessait, ils disparaissaient, la route devenait déserte. Enfin le roi mourut, et le même jour le duc de la Vrillière apporta à Mme Du Barri, sa meilleure amie, une lettre de cachet qui l’exilait à l’abbaye de Pont-aux-Dames, en Brie, près de Meaux. La philosophie n’était pas un des attributs du caractère de la comtesse. Le beau fichu règne, s’écria-t-elle en termes que nous modifions, qui commence par une lettre de cachet ! Tandis qu’elle se rendait au lieu indiqué pour son exil, son beau-frère, le comte Jean, le roué, gagnait la Suisse au plus vite. La réaction commençait contre toute cette famille des Du Barri en déroute. La colère de leurs ennemis se porta même, par un luxe de vengeance, sur ce pauvre mari, le comte Guillaume. On faillit l’assommer dans les rues de Toulouse. Les d’Aiguillon tombèrent subitement en disgrace. Les Choiseul revinrent sur l’eau. Le rêve était fini pour tous. Quel réveil !


III.

La lettre de cachet que Louis XVI avait signée était plutôt une consolation qu’un châtiment. Indulgent et respectueux, trop peut-être, le nouveau prince disait à Mme Du Barri « qu’il n’ignorait pas l’attachement de son aïeul pour elle, qu’il pourvoirait exactement à ses besoins, qu’elle fût donc sans crainte pour son avenir. » Une pareille lettre de cachet n’avait rien de bien effrayant ; elle terrifia cependant Mme Du Barri. L’exil ! un couvent ! ne cessait-elle de répéter. Elle dut obéir malgré son indignation. La rage dans le cœur, la tête cachée dans sa mantille, elle monta en voiture accompagnée d’un exempt, et elle fut conduite de Luciennes au couvent de Pont-aux-Dames. Quitter Luciennes, sa vie de reine, si jamais reine avait été aussi heureuse, aussi fêtée, pour aller à trente-trois ans se cloîtrer dans une abbaye du moyen-âge !

Il existe encore quelques restes de cette abbaye, fondée en 1226, près du pont de Couilly, par Hugues de Châtillon, comte de Blois, et sa femme, Marie d’Avênes ; mais il faut les chercher à travers les constructions nouvelles qui forment aujourd’hui le hameau de Pont-aux-Dames, traversé par la route de Paris à Vitry-le-Français. La douleur de la belle comtesse aux cheveux cendrés fut profonde en traversant le cimetière de l’abbaye, le parloir humide, dont les noires cimaises laissaient flotter des toiles d’araignées séculaires. L’accueil fut doux cependant ; les ordres du roi commandaient les bontés et les attentions. Beaucoup de jeunes filles étaient élevées dans cette sainte maison ; comme