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À cette époque, elle fut fort effrayée pourtant de l’arrivée de la dauphine, archiduchesse d’Autriche. On lui avait dit que son premier acte serait d’exiger le renvoi de la favorite. Il n’en fut rien. À un souper donné au château de la Muette, elle fut présentée à Marie-Antoinette, qui l’accueillit fort bien. Il s’établit même entre ces deux femmes, si célèbres à différens titres, une intimité qui charmait beaucoup le vieux roi, mais qui fut de peu de durée. Les Choiseul parvinrent à faire de Marie-Antoinette et de Mme Du Barri deux ennemies implacables, qui ne se réconcilièrent un instant que pendant les dernières heures de la révolution, et, pour ainsi dire, au pied de l’échafaud.

Le plaisir n’entrait pas toujours seul avec le roi dans cette chambre enchantée ; les affaires sérieuses s’y glissaient souvent. Alors le chancelier Maupeou y était introduit. On y décida le fameux coup d’état contre le parlement de Paris, qui se disposait à juger le duc d’Aiguillon, accusé de concussion par le parlement de Bretagne. Il y allait de la tête de ce dernier. Mme Du Barri obtint que le roi déclarerait cavalièrement et sans autre forme au parlement de Paris, devant lequel cette affaire si grave avait été renvoyée, que la cause était instruite, qu’il n’y avait pas à s’en occuper. Le duc de Choiseul fut écrasé, mais quel abominable triomphe ! On cherche ensuite les causes de la révolution !

Les parlemens du royaume crièrent ; on dit au roi, et c’était vrai, que Mme de Grammont les poussait à la rébellion. Depuis ce moment, Louis XV ne parla plus au duc de Choiseul hors du conseil. Tandis que ces belles choses se passaient, le peuple mourait de faim. C’était une année de famine : la France en comptait souvent au XVIIIe siècle. Voici le burlesque Pater qui courut alors : « Notre père qui êtes à Versailles, votre nom soit glorifié ! Votre règne est ébranlé. Votre volonté n’est pas plus exécutée sur la terre, que dans le ciel. Rendez-nous notre pain quotidien que vous nous avez ôté ; pardonnez à vos parlemens qui ont soutenu vos intérêts, comme vous pardonnez à vos ministres qui les ont vendus. Ne succombez plus aux tentations de Du Barri ; mais délivrez-nous du diable de chancelier. Ainsi soit-il. »

Tout ce qu’on pouvait dire, écrire, publier, combiner contre la favorite était destiné à se briser devant son autorité, qui ne faiblit jamais ; aussi hommes puissans, femmes irritées, ducs, duchesses, pairs, généraux, ministres, princes, princesses, tout l’olympe monarchique finit, après des résistances inutiles, par se prosterner aux pieds de la Junon souveraine. Elle pardonna toujours, il est juste de le dire ; elle pardonna même à la duchesse de Grammont, car elle aussi vint s’humilier. Quelle honte ! Mais, il ne faut pas l’oublier, les gens de cour ont besoin avant tout de vivre à la cour. L’air leur est moins indispensable que la représentation.

Le duc de Choiseul resta pourtant inébranlable dans sa haine ; cette