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de Mme Du Barri. Bouret, dont nous avons raconté les fantaisies de millionnaire[1], lui donnait des fêtes royales dans son fameux pavillon de la forêt de Sénart ; il la faisait assister, comme une reine, au spectacle d’une chasse au cerf, et lui montrait, surprise galante, sur le cou d’une Vénus exécutée par Coustou et destinée au roi de Prusse, sa tête plus belle que celle de Vénus.

C’est encore dans ce réduit charmant du pavillon de Luciennes que Mme Du Barri osait dire à Louis XV, à propos d’un cuisinier nouveau qu’elle ne voulait pas garder, quoique excellent, parce qu’il ressemblait au duc de Choiseul : Sire, j’ai renvoyé mon Choiseul, quand renverrez-vous le vôtre ? Le roi en sortait rarement en colère, car il n’arrivait jamais à Mme Du Barri de lui demander autre chose que des places et des faveurs pour ses amis. C’était la bonté la plus naturelle dans la beauté la plus franche qui eût encore paru à la cour. Elle aurait pu écraser le comte de Lauraguais du fond de cette alcôve azurée où elle gouvernait en peignoir celui qui gouvernait la France, ce Lauraguais qui, avant pris chez la Gourdan une fille perdue, la promenait de Paris à Versailles et de Compiègne à Fontainebleau, sous le titre de la comtesse Du Tonneau. Elle aima mieux obtenir la grace d’une pauvre fille de Liancourt, coupable du crime d’infanticide, et celle du comte et de la comtesse de Louerme, condamnés comme rebelles à perdre la tête. Le chancelier Maupeou, qui l’appelait ma cousine, prétendant qu’ils descendaient l’un et l’autre de la famille irlandaise des Barrimore, fut heureux de contresigner ces lettres de grace après avoir refusé de les présenter au roi, afin de laisser tout le mérite de l’action à la comtesse, sa belle cousine.

C’est dans cette chambre si riche en meubles d’ébène, de bois de rose et d’ivoire, en tableaux et en porcelaines, que les clous ordinaires employés par les tapissiers coûtaient cent francs la pièce. Au surplus, les prodigalités que l’imagination la plus orientale inventerait ne seront jamais ni exactes ni exagérées, par la raison que la favorite avait fini par obtenir ce qu’elle voulait d’un roi qui, de son côté, prenait ce qui lui plaisait dans les coffres de l’état. Le 1er janvier de l’année 1770, Mme Du Barri demande au roi pour ses étrennes les loges de Nantes, c’est-à-dire 40,000 livres de revenu, dont jouissait auparavant la duchesse de Lauraguais. Le roi refuse, elle se fâche ; le naturel jaillit, elle s’écrie : Le diable m’emporte, si je vous demande encore quelque chose ! Vous commencez mal l’année, dit le roi en souriant ; mais, je vous le répète, je n’y puis plus rien, j’en suis désolé pour Mme de Mirepoix, à qui vous destiniez ce cadeau. Il est déjà promis. — Et à qui, sire ? — A vous, madame ; ce sont les étrennes que je vous ai réservées. — Voilà comment le roi refusait.

  1. Voyez la livraison du 1er février 1846.