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traduisit les Géorgiques, où Joséphine, la bonne impératrice, se retira à pas lents après son divorce ; Ruel, où elle repose et où Richelieu avait aussi son château ; Nanterre, où filait, en priant, la blonde Geneviève, à travers les blés ; le bois du Vesinet, qui porte Chatou dans ses branches comme un nid d’hirondelles ; Vaulx, où François Ier fut allaité ; et cent autres, et mille autres endroits. Chaque arbre voile un château, une maison connue, un asile célèbre, une gloire de l’ancienne France ; agglomération de richesses qui s’explique aisément. François Ier, Henri II, Henri III, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, ont attiré, fixé pendant trois cents ans sur le même espace toutes les fortunes et toutes les intelligences de leur règne. Les soleils ayant disparu, on peut voir aujourd’hui les myriades d’étoiles qui leur faisaient cortége et qu’ils éclipsaient par leur trop vive lumière.

Il est à présumer que, lorsque le roi se délassait dans le pavillon de Luciennes, on suspendait le travail de la fameuse machine de Marly dont les premiers tuyaux traversaient et traversent encore d’une façon fort disgracieuse le terrain occupé par les communs du château. Cette formidable machine, huit ou dix fois réformée pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle, et de nos jours à peu près abolie par l’emploi d’une machine à vapeur de la force de trois cents chevaux, produisait, lorsqu’elle était en fonction, un bruit déchirant, lamentable, un grincement dont quelques contemporains se rappellent l’intolérable impression. Le corps de cette huitième merveille, c’est le nom qu’on lui donnait, se trouve au pied de l’ancienne route de Saint-Germain, entre le village de Marly et celui de La Chaussée. Cette construction cyclopéenne dura sept ans environ ; commencée en 1676, elle ne fut achevée qu’en 1682, si elle fut jamais achevée. Nous en avons déjà nommé l’inventeur, Sualem ou Swalem Rennequin, ou, mieux encore, Swalm Renkin, Liégeois de naissance. Quoi qu’on en ait dit et quel qu’ait été le mérite de M. Deville, ingénieur français, auquel on veut attribuer la création de la machine, Renkin en est bien l’inventeur. Primitivement, elle avait quatorze roues et absorbait toute l’eau d’un bras de la Seine. On aura une idée de la difficulté où nous sommes d’expliquer les effets de ses deux cent vingt-cinq corps de pompes, lorsqu’on saura que Vauban seul pouvait les comprendre. D’efforts en efforts gigantesques, l’eau qu’aspiraient, que refoulaient toutes ces pompes, grimpait à une tour placée entre l’aqueduc de Marly, autre travail de Romains, imposant, magnifique au milieu du paysage. Une fois portée à cette hauteur prodigieuse, elle coulait le long de l’aqueduc même par deux tuyaux de fer de dix-huit pouces jusqu’aux réservoirs de Marly, ce qui a lieu encore de nos jours ; des réservoirs de Marly, elle était dirigée sur Versailles, où elle s’élançait comme aujourd’hui en jets éblouissans, s’épanouissait en gerbes, et couronnait de perles et d’émeraudes