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ni même à Versailles. Avant de pénétrer dans l’intérieur de ce petit temple, dont il n’est pas très facile aujourd’hui de rappeler toutes les richesses, car ceux qui l’ont dépouillé n’ont pas tenu, on le conçoit, un compte exact de leurs rapines, il est juste de dire que Mme Du Barri récompensa royalement son architecte. Ledoux fut nommé inspecteur des salines de Franche-Comté, aux appointemens de huit mille livres. Le vestibule, qui servait de salle à manger, est flanqué de deux cabinets ; celui de droite était un chauffoir, dans celui de gauche se trouvaient les garde-robes. Autour de ce vestibule, orné de pilastres corinthiens ou en marbre gris, s’élevaient quatre tribunes où se faisaient entendre, les jours de gala, les musiciens de la comtesse ; elle avait aussi sa musique comme le roi. Dans cette même salle, on voyait quelques tableaux de Greuze, commandés par Mme Du Barri au célèbre peintre, son portrait en pied par Drouet et son buste par Pajou. Mme Du Barri devait être merveilleusement belle : on peut le croire sans hésiter, puisque ses ennemis, — et jamais femme, jamais homme n’en eut autant, — qui attaquèrent avec férocité sa naissance, la vertu de sa mère, la réputation de son père, de son mari, qui la traînèrent pendant trente ans, en France, en Italie, en Angleterre, en Hollande, sur la claie des gazettes, des nouvelles à la main, des pamphlets, des libelles les plus honteux ; qui finirent par la jeter dans les bras du bourreau, s’arrêtèrent tous devant sa beauté, jusqu’au bourreau. Quelle beauté ce devait être ! Elle était d’une taille moyenne ; des cheveux cendrés et bouclés comme ceux d’un enfant, dit Mme Lebrun dans ses Mémoires, descendaient le long de son visage d’une coupe admirable. Elle ajoute que sa gorge était forte, mais très belle, et que ses yeux allongés, jamais ouverts, lui donnaient quelque chose d’enfantin. Ces quatre coups de crayon d’une main habile laissent entrevoir cette charmante figure du XVIIIe siècle, belle et originale, régulière et voluptueuse à la fois ; une de ces figures rares et fatales, qui, formées de la folie ou de la raison de leur temps, apparaissent de loin en loin pour ravir les hommes et perdre les empires.

Le portrait de Mme Du Barri par Drouais ou Drouet est un incontestable chef-d’œuvre ; Van Dyck a peu d’œuvres supérieures à celle-là. Le cachet de la ressemblance y est empreint partout, et ce mérite est relevé par une incomparable suavité de dessin et de couleur. Les yeux et la bouche y ont bien ce demi-sommeil dont parle Mme Lebrun dans ses Mémoires. Le front est superbe et doux, et le corps, ce corps gracieux, est revêtu d’une ringrave qui s’entr’ouvre pour laisser voir un jabot de dentelle et le sein de Mme Du Barri. On la croirait déguisée en homme sous ce costume original et piquant. Comme on cherche des comparaisons à tout ce qui est beau, pour doubler, en le communiquant, le plaisir qu’on éprouve, on pourrait dire de ce portrait qu’il rappelle un oiseau orgueilleux et une fleur charmante, un cygne et un