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forme de ces déshabillés créoles, toujours sur le point de tomber aux pieds de celles qui les portent, dussent-ils laisser voir en tombant qu’ils tiennent lieu du premier et du dernier vêtement. Elle complétait ce costume invariable et charmant, dont le roi raffolait, par un chapeau de paille aux larges bords, sur lequel elle couchait une poignée d’épis de blé entremêlés de bluets et de coquelicots, dans les journées ardentes où la cigale chante aussi ses amours au haut des arbres. Ainsi habillée ou déshabillée, elle accourait au-devant du roi par la terrasse des tilleuls, et ils se rendaient ensemble au pavillon, qui leur souriait de loin avec sa grace athénienne, à travers un rideau d’orangers dont on avait dépouillé Marly pour parer et embaumer Luciennes.

Il n’est pas hors de propos de parler ici des vols continuels qu’exerçait le pavillon de Luciennes sur le château de Marly, ainsi qu’en userait un fils de famille avec un père trop faible, ou, pour nous servir d’une comparaison peut-être plus juste, ainsi que le ferait une courtisane prodigue avec un vieillard follement épris. La jeune Luciennes volait au vieux Marly ses citronniers si vantés, ses grenadiers séculaires, ses plus beaux pieds d’oranger, les fleurs les plus rares de ses serres chaudes, les plus fantastiques oiseaux de ses volières. Les jardiniers, les employés de Marly criaient à la spoliation, se plaignaient, gémissaient ; mais qu’y faire ? la folle comtesse avait envie de toutes ces belles choses, il fallait bien la contenter. On laissait crier les vieux faunes, les vieux satyres, et la nymphe riait.

Le pavillon de Mme Du Barri est un petit temple grec, transporté de l’Ionie à Luciennes, une nuit d’été, sur un rayon de la lune, dont il a la couleur lactée, et déposé doucement sur le gazon au bord d’un précipice. Un pas de plus, il y roulait. Au-delà du pavillon il y a le vide ; les fondations affleurent avec le point culminant d’une courbe immense qui, très rentrante d’abord, se continue jusqu’à la Seine en passant par Marly-la-Machine. Il fallut nécessairement gazonner cet abîme, le velouter de lierres, le tapisser, le voiler de toutes les plantes grimpantes que fournit la flore parisienne, pour qu’il perdît de son aspect sinistre. On dut parvenir à ce résultat : la fougueuse végétation qui se fait encore remarquer aux flancs de cette fondrière permet de supposer qu’elle dut être autrefois entièrement couverte.

Ledoux, l’architecte, construisit en trois mois le pavillon de Luciennes sur un caprice de Mme Du Barri, mais il chercha long-temps la physionomie originale qu’il donnerait au monument de plaisir et de rêverie qui lui était commandé. Contenter une reine est chose possible, quoique difficile, disait Buckingham ; satisfaire une favorite est chose presque impossible. Et ici il s’agissait d’une favorite de Louis XV, d’une sultane du XVIIIe siècle, blasée sur l’arabesque, le style fleuri, la fantaisie orientale et chinoise ! Aussi on n’imaginerait jamais les efforts auxquels se