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En maison bonne
Elle a pris des leçons ;
Elle a pris des leçons
En maison bonne,
Chez Gourdan, chez Brisson ;
Elle en sait long.

Il était fort adroit de se servir ainsi de la rumeur publique pour faire arriver jusqu’au trône des attaques contre celui qui s’y oubliait dans les bras d’une favorite détestée le peuple était les flots, les Choiseul le vent ; le vent fit la tempête et resta invisible. Qu’opposa Mme Du Barri à ce soulèvement général contre elle ? D’abord sa jeunesse, et Mme de Grammont n’était plus jeune. Mme de Grammont était soutenue par un ministre, Mme Du Barri se fit protéger par un chancelier, M. de Maupeou. Le ministre qui soutenait Mme de Grammont était un duc ; Mme Du Barri eut aussi le sien ; elle en eut même deux, le duc d’Aiguillon, gentilhomme accompli, et le duc de Richelieu. Mme de Grammont avait pour elle la noblesse ; Mme Du Barri eut avec elle les écrivains, les poètes, les artistes, presque tous les philosophes ; Mme de Grammont avait la France, Mme Du Barri eut le roi. La guerre fut déclarée, guerre longue, guerre terrible, guerre venimeuse comme toutes celles où figurent les femmes, guerre imprudente, car les coups portés à la joue de la favorite touchèrent le visage de Louis XV, dont les fautes furent si cruellement expiées par son successeur. L’exécration formidable, sans exemple, que les Choiseul soulevèrent contre Mme Du Barri, est à nos yeux, fort peu prévenus, une des causes qui développèrent le germe de la révolution. La noble vieillesse de Louis XIV avait fait complètement oublier les erreurs de sa jeunesse trop galante ; la vieillesse débauchée de Louis XV eut un effet contraire, non-seulement par rapport à lui, mais par rapport à toute la monarchie ; elle rappela en masse les faiblesses de la royauté. Mme de Maintenon avait presque obtenu par la rigidité excessive de ses mœurs le pardon de toutes les favorites ; la conduite de Mme Du Barri réveilla le souvenir de toutes les courtisanes royales. Il en résulta pour Louis IV et pour elle une condensation de haines. Le passé des autres fit balle contre eux.

Avant de montrer Mme Du Barri dans le joli château de Luciennes, présent de son royal amant, il convient de rappeler l’événement le plus étonnant de son étonnante prospérité, celui qui causa le plus de bruit sous le règne de Louis XV, sans excepter la victoire de Fontenoy. Ce fut aussi une victoire, car il y eut bataille, et bataille rangée, commandée par des généraux habiles en intrigues. D’un côté, c’étaient Louis XV, Mme Du Barri, le duc d’Aiguillon, le vieux duc de Richelieu ; de l’autre, le duc de Choiseul, ses deux terribles soeurs, toute la cour, toute la noblesse de Paris et de la province. Le lieu du combat fut Versailles ;