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n’étaient composés que de boutiques de marchandes de modes, et ces boutiques riantes, pimpantes, toutes gentilles, percées au pied des maisons dont les croisées ont vu assassiner Henri IV, gagnaient d’année en année la rue Saint-Honoré, où elles avaient fini par se confondre avec les marchands de pelleteries du Danemark et de la Suède, qui, plus heureux, ont résisté à l’action du temps, et de nos jours sont encore à leur place. Tous ces magasins de modes, célèbres en Europe, dans l’Inde et les deux Amériques, luttaient d’éclat et de nouveauté par leurs vitrages, leurs devantures, leurs enseignes et leurs auvents. Ces auvents très longs, épanouis et surbaissés, donnaient à ces boutiques des formes de chapeau, et procuraient à la rue, constamment mouillée par le séjour des légumes, une ombre fraîche, riante, que damassaient mille couleurs. Ces couleurs jaillissaient comme des flammes du jeu miroitant de ces étoffes, de ces bonnets, de ces mantilles, de ces camails en satin, en brocart de Lyon, étalés, pendus, exposés dedans et dehors. Et quelle population exceptionnelle pour cette rue originale ! Les mousquetaires rouges, noirs, gris, les abbés pouparts, les robins passionnés, les petits marquis ennuyés, les vieux conseillers, les chevaliers d’industrie, les galans escrocs, les clercs sensibles, les mondors à bec de corbin, les munitionnaires à la grosse voix, les traitans, affluaient du matin au soir dans ces boutiques et autour de ces comptoirs garnis de jeunes filles qui, en riant, déchiraient la soie, piquaient dans le velours et arrondissaient au bord de leurs doigts distraits la mousseline et la gaze. L’atmosphère de l’endroit avait aussi son caractère. Des odeurs suaves se mêlaient aux exhalaisons végétales des légumes étalés sur le pavé de la rue ; on respirait le parfum du musc et celui des carottes, les senteurs de la violette et celles du céleri, et, par dessus tout, la vapeur fade et cadavéreuse du charnier des Innocens. Ici les cuisinières, leur panier au bras, dictaient des lettres d’amour ou d’adieu à de sales écrivains publics, affamés et en manchettes ; là des voitures brillantes, armoriées, longeaient les murs du cimetière, dont le vent empesté agitait avec bruit des files d’enseignes suspendues sur lesquelles on lisait au milieu d’un fond d’or, d’argent ou d’azur : A la Poupée de la rue Saint-Honoré, au Secret de plaire, à la Toilette de Lesbie, au Miroir des Graces, à la Ceinture de Vénus. Enfin la rue de la Ferronnerie était un modèle réduit de Paris au XVIIIe siècle.

C’est dans la rue de la Ferronnerie et dans l’une de ces jolies boutiques de modes que Jeanne de Vaubernier ou Mlle Lançon entra en apprentissage ; c’est là qu’elle acquit sans doute l’art de se coiffer et de s’habiller avec un goût qui ne fut pas inutile plus tard à ses succès dans un autre genre. Ses ennemis lui rappelèrent souvent avec dédain cette première époque de sa vie, que, de son côté, elle ne chercha pas à nier : du reste, elle ne nia jamais rien, et cette espèce de candeur aurait