Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une charte de concession passée avec les moines de Saint-Denis, le nom de Mons-Lupicinus. Faut-il supposer avec l’abbé Lebeuf qu’on l’appela ainsi, parce qu’il servait de retraite à des loups, ou bien, avec d’autres historiens, qu’il tira son nom d’un officier de chasse du roi Chilpéric III, nommé Lupicius ou Lupicinus ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, par ce traité, les moines de Saint-Denis devinrent possesseurs par moitié du territoire de Louveciennes, comme ils le furent plus tard de tous les bois, champs, forêts, villages et hameaux placés dans un rayon de vingt lieues autour de Paris. Nous sommes très porté à croire que ce petit point de la terre devra désormais sa célébrité bien moins à la longue occupation de ces moines puissans, riches et ambitieux, qu’au passage brillant de cette femme qui y posa un jour son joli pied et disparut.

Nous ne connaissons pas dans l’histoire moderne de femme plus décriée, plus avilie, plus outragée et plus punie que Mme Du Barri. Elle ne devint la plus élevée par la fortune que pour être la dernière dans l’opinion ; elle n’effleura le trône que pour plonger plus profondément dans l’égout du mépris universel. Par une dérision que toute la malignité des hommes ne trouverait pas, elle naquit à Vaucouleurs, où naquit Jeanne d’Arc, et, par une autre dérision non moins étrange, elle reçut en naissant le nom de Jeanne, comme si le hasard eût voulu à tout prix et avec une intention secrète qu’on mît un jour en présence la femme la plus vénérée au monde et la femme la plus dégradée, celle qui sauva la France et celle qui passe pour l’avoir perdue. cruel rapprochement qui, réduit en symbole, présenté aux yeux sous les couleurs significatives de l’image, montre la gloire de l’une flottant dans l’air pur comme un drapeau d’honneur, la célébrité de l’autre rampant à terre et sous les pieds qui la foulent et la salissent.

Pourquoi tant de haines et tant de souillures ? N’aurait-on tant crié contre Mme Du Barri que parce que, maîtresse d’un roi, elle n’était pas issue de famille titrée ? Était-ce donc un privilège des familles nobles de fournir des maîtresses aux rois ? On le croirait en se rappelant que Mlle de La Vallière, Mlle de Fontange, Mme de Montespan, Mme de Mailly, Mme de Châteauroux, Mlle de Lauraguais, étaient d’origine aristocratique. Ont-elles beaucoup pour cela relevé la profession ? Personne n’oserait l’affirmer, même parmi les descendans de ces grandes maisons. On a aussi violemment récriminé contre Mme Du Barri parce qu’avant d’être à Louis XV elle avait eu d’autres amans ; mais François Ier avait passé bien des légèretés à ses maîtresses, mais Henri IV avait bien souvent fermé les yeux sur les coquetteries de la charmante Gabrielle. Mme Du Barri n’était guère plus coupable que ces dames de haut parage. Le plus ou le moins en pareil cas ne nous semble pas d’ailleurs d’une grave importance, et je ne vois pas pourquoi on demanderait un commencement