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goût du pillage, que les calamités qui nous ont affligés de ce côté-ci des Andes étaient un contre-coup de l’insurrection des Pincheyras. Le général Quiroga se trouvait ici plus à portée de repousser les Indiens et plus à l’abri des piéges que ses ennemis nombreux et ses rivaux pouvaient lui tendre.

Quand on parle de Quiroga, deux choses sont difficiles : faire son éloge et le calomnier, tant il a fait de mal et peu de bien. Je dirai seulement que ceux qui l’ont vu de près ont pu distinguer en lui, sous l’enveloppe féroce et astucieuse du gaucho, le coup d’œil juste et parfois élevé de l’homme supérieur. Don Luis exerçait sur cette intelligence mal réglée et sans culture, sur cet esprit ombrageux et sujet à de violentes fureurs, un certain ascendant, par cela seul qu’il lui parlait avec la liberté d’un soldat. Quiroga, qui se plaisait à voir le vulgaire trembler sous son œil fauve, aimait cette ame forte qui ne fléchissait pas en sa présence, et puis, comme tous les héros de ces républiques nouvelles que la gloire de Napoléon empêche de dormir, il ne se lassait jamais d’entendre raconter les batailles de l’empire.

Depuis long-temps, don Luis sollicitait Quiroga de l’aider dans son entreprise, de lui fournir les moyens de retrouver certaines mines que les écrits d’un ancien auteur plaçaient aux environs du mont Pallen ; l’occasion s’offrit enfin. Un soir, don Luis entrait chez le général au moment où celui-ci se mettait à table : « Por Dios, cria Quiroga, vous arrivez à point ; voici une salade que je crois empoisonnée ; vous qui connaissez la chimie… - Si elle contient du poison, tant mieux, répondit don Luis en l’avalant ; j’aime mieux mourir que d’attendre éternellement votre bon plaisir. » Cette action hardie plut à Quiroga. « Ah ! reprit-il avec un accent de conviction et de vérité qui ne lui était pas ordinaire, ces Européens ont du bon parfois !… quelle population j’ai à gouverner ici ! Des gens habitués aux vieilles coutumes, qui se laissent mener à coups de plat de sabre du matin au soir, pourvu qu’ils dansent toute la nuit[1] ! Écoutez, don Luis, je vous nomme commandant de l’arrière-garde de la division qui marche contre les Indiens ; suivez l’armée aussi loin qu’il vous plaira, et puis vous la quitterez pour aller explorer les montagnes. Je vous fournis des chevaux et des mules, choisissez vos hommes, et je vous promets de faire fusiller quiconque vous abandonnera. »

Le Pincheyra qui était venu chercher un refuge derrière les Andes fut aussitôt désigné comme le seul homme dans tout le pays qui pût

  1. En s’exprimant ainsi, Quiroga faisait allusion au parti unitaire, qui se composait surtout de la classe aisée du pays. Il régnait dans cette portion des habitans de la République Argentine une aménité de mœurs, une élégance de manières qui irritaient le chef des fédéralistes. Il sentait que jamais sa puissance violente et brutale ne serait acceptée par ces aristocrates.