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avis, répandus dans les deux divisions par les agens des Pincheyras, achevèrent de déranger les plans d’attaque ; on accusa aussi un commandant espagnol d’avoir trahi sa consigne, afin de ménager une retraite aux rebelles. Ceux-ci perdirent du monde, mais ils échappèrent à la destruction certaine dont ils étaient menacés ; ils rompirent les mailles du filet dans lequel ils se sentaient peu à peu enveloppés, et ne laissèrent au colonel Beauchef que la gloire de les avoir poursuivis bravement, sans relâche, l’épée dans les reins, jusqu’au-delà du pays qu’ils regardaient comme leur domaine.

Un grand nombre de captifs furent ramenés à la ville de Chillan et rendus à leurs familles ; les plus jeunes d’entre eux ne se rappelaient pas même le lieu de leur naissance, et regardaient avec surprise ces rues et ces clochers dont ils avaient perdu le souvenir. Le cacique Marilaun, son fils, quatre autres chefs de sauvages venaient enfin de faire leur soumission ; une escorte les amenait à travers ces campagnes où ils avaient tant de fois jeté l’épouvante. On envoya à leur rencontre soixante Indiens auxiliaires, tous à cheval, armés de la lance ornée de plumes, des terribles boules et du lazo ; ils étaient précédés d’une musique militaire et suivis d’une garde d’honneur chargée de recevoir ces guerriers las de combattre. On les accueillit à bras ouverts, on les gorgea de présens, de vins et de grosses viandes ; on les enivra du bruit des trompettes, du retentissement des tambours, et ils firent éclater leur joie. Singulier moment que celui où l’on embrasse tout à coup son ennemi comme un frère, en tenant encore à la main les armes préparées contre lui ! Le lieutenant-colonel Zinozain et un de ses adhérens s’étaient rendus du même coup.

Pincheyra ne comptait plus d’alliés, à l’exception d’un seul cacique qui lui restait, et la défection avait diminué le nombre de ses vrais soldats. Cependant il ne se laissa pas décourager. — Je sers la cause du roi don Fernando, et j’ai de nombreux amis dans toutes les provinces, répondait-il par son secrétaire aux généraux chiliens, — car j’oubliais de vous dire que Pincheyra avait un secrétaire, qui lui était d’autant plus utile, qu’il ne savait pas écrire ; il avait un chapelain aussi, le padre Gomez, homme intrépide comme en renferment les couvens de l’Espagne et de ses colonies, mieux fait pour porter la cuirasse que le froc, qui haranguait la bande, se jetait à cheval sur les canons dans les momens difficiles, et poussait, au fort de la mêlée, des cris de : Vive le roi !

Au moment où la situation de Pincheyra et des siens semblait désespérée ou au moins fort compromise, les événemens vinrent à leur secours ; les troubles qui désolèrent la république chilienne pendant plusieurs années consécutives ne permirent point à ceux qui disposaient du pouvoir de diriger contre les rebelles de nouvelles expéditions. Cet