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fallait absolument réorganiser l’armée, qui manquait de discipline, et remédier aux maux qui affligeaient le pays. Les trois provinces du sud les plus exposées aux ravages des Pincheyras ayant été mises en état de siège, le nouveau président forma une armée spécialement destinée à agir contre les rebelles. Cette armée partit au mois de novembre, c’est-à-dire à l’ouverture de la belle saison, quand les passages des Andes devenaient praticables ; elle se composait de deux divisions, dont l’une marchait parallèlement aux montagnes, à égale distance entre les Andes et la mer, tandis que l’autre poussait droit à la Cordilière. Il s’agissait ou de déloger Pincheyra de son camp pour le lancer entre les deux colonnes, ou de le faire rentrer dans son fort et de l’y bloquer. Le hasard voulut que cette fois encore le bandit échappât aux mesures les mieux combinées ; son heure n’était pas venue.

La première des deux divisions (celle que l’on nommait la division du sud) ne rencontrait pas d’ennemis, car les espions et les partisans de Pincheyra l’avertissaient du mouvement des troupes ; elle ne rencontrait guère d’habitans non plus, par la raison qu’elle agissait sur le théâtre même des razzias. Traversant toute la province du Maule, elle s’avança dans celle de la Conception, en remontant vers les Andes jusqu’à la ville de los Angelos. Ce fut alors que le gouvernement chilien put comprendre toute l’étendue des calamités que ces guerres avaient causées dans les provinces. Peu d’années auparavant, cette ville de los Angelos ne comptait pas moins de trente mille ames ; on y voyait un fort très vaste, entouré de fossés ; c’était la clé de la frontière méridionale. En 1826, les chefs de cette colonne expéditionnaire la trouvèrent si déserte, qu’ils durent s’occuper d’y rappeler les habitans, dispersés dans le nord du Chili ; les fossés de la citadelle étaient à peu près comblés ; on eût dit une place abandonnée depuis cent ans. On ne se figure pas en Europe avec quelle rapidité dépérissent les centres de population dans les contrées d’Amérique, encore pauvres d’habitans, et comme en quelques mois les campagnes, animées seulement par les troupeaux ou par de lointaines cultures, se changent en désert. Ce n’est qu’après des siècles d’un travail assidu que l’homme prend irrévocablement possession des solitudes hantées par les bêtes fauves et par les hordes sauvages ; s’il est interrompu dans son œuvre, la nature l’emporte sur lui ; il perd courage, les traditions apportées d’ailleurs par ses ancêtres s’effacent dans son cœur, et il retourne à la barbarie. Ces contrées, alors abandonnées aux entreprises des Pincheyras et des Indiens, sont cependant la partie du Chili la plus salubre et la plus facile à cultiver. Tandis que les vallées de Mendoza et de San-Juan, privées de pluie, ne sont fertilisées que par les irrigations, celles du versant opposé, qui jouissent d’un climat plus variable, présentent une éternelle fraîcheur. On y