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Le rétablissement apparent du crédit public se prolongera-t-il ? Cela est douteux en voyant le prix auquel il est acheté. Il est clair que la banque sent elle-même le danger de sortir des bornes prudentes qui lui avaient été assignées, et veut au moins attendre qu’elle puisse le faire sous la responsabilité de la législature. Ainsi, il s’est passé un fait curieux qui n’a pas été assez remarqué : c’est que la banque, afin de pouvoir prêter, s’est mise elle-même à emprunter. Elle a eu peur d’étendre son crédit ; on lui avait donné le droit de jeter indéfiniment du papier sur la place, elle a craint d’en user, et elle a mieux aimé racheter ses propres billets pour les rendre ensuite à la circulation. Elle a, par exemple, vendu dernièrement 286,000 livres d’effets publics pour racheter des billets ; elle les a rachetés à 7 pour 100, et elle les escompte à 8. Nous savons bien que cette opération est facile à expliquer, en ce que, la banque étant l’établissement le plus sûr et le plus solide, on aime mieux lui prêter à 7 que de prêter à d’autres à 8 ou à 9, et c’est pour cette raison qu’elle trouve de l’argent à un taux plus bas que le public ; mais que devient l’argument de ceux qui prétendaient que la rareté des moyens d’échange était la cause de tout le mal ? Il n’a pas été créé plus de papier ; la banque n’a fait que distribuer celui qui existait déjà, elle n’a servi que d’intermédiaire ; l’or est entré chez elle par une porte pour en ressortir par l’autre en lui laissant dans son passage un nouveau bénéfice, voilà tout.

En somme, sans contester l’amélioration de la place de Londres, nous ne pouvons la considérer que comme passagère. Ce qui est plus réel, et ce qui doit être plus permanent, c’est la situation même qui avait amené la crise commerciale. Les compagnies de chemins de fer ont suspendu la moitié de leurs travaux, leurs appels de fonds ont diminué de 50 pour 100, c’est possible ; mais que deviendront les milliers d’ouvriers qui vivaient de ces travaux ? Déjà on les congédie par masses, déjà ils inondent les villes et les grandes routes, et bientôt certains districts de l’Angleterre ressembleront à l’Irlande. Ce n’est pas seulement 300,000 ouvriers qui vont se trouver sur le pavé ; il faut compter aussi tous ceux dont ils faisaient vivre le commerce ; l’argent des chemins de fer n’était pas tout enfoui et immobilisé dans la terre, il était mobilisé aussi et répandu par le travail et par la consommation. De plus, dans le commerce extérieur, la balance de l’importation et de l’exportation, au lieu de se relever, paraît devoir baisser encore ; les districts manufacturiers ont devant eux la perspective d’une saison désastreuse. Et enfin n’y a-t-il pas toujours, au-dessus de toutes les difficultés de l’Angleterre, la plus grande, la plus inévitable, la plus incessante ? N’y a-t-il pas, toujours suspendue sur sa tète, cette épée classique et banale qu’on appelle l’Irlande ?

Elle est toujours la même, cette triste Irlande ! On en est encore, aujourd’hui comme autrefois, à réclamer pour elle des lois de répression, de coercion. Il est probable que la première chose que proposera le ministère, ce sera un bill pour prohiber la détention des armes et pour suspendre l’habeas corpus. Les attentats contre la vie et la propriété deviennent de plus en plus flagrans dans plusieurs comtés ; les enfans blancs et les législateurs de minuit reparaissent à la lumière du jour. Tout récemment, l’Irlande a été épouvantée par un de ces crimes qui prouvent que les anciennes passions vivent toujours dans les entrailles du pays, et que les élémens de révolte, d’anarchie et de terrorisme, loin d’être éteints, ne faisaient que couver sous la cendre pour éclater avec une nouvelle