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mis bravement l’illégalité qu’on lui demandait depuis le commencement. Il n’a donc, politiquement, retiré aucun fruit de cette hardiesse tardive, et il n’a fait que montrer une fois de plus qu’il n’avait aucun système arrêté en matière de finances.

Il était temps, du reste, qu’il fit quelque chose. La crise était plus avancée encore qu’on ne le croyait généralement, ainsi que l’ont montré les publications faites chaque semaine des comptes de la banque d’Angleterre. On considère que la banque, pour la liberté de son action et la facilité de sa besogne courante, a besoin d’avoir en mains au moins 4 millions de billets (100 millions de francs). Or, à la fin de la semaine dans laquelle le gouvernement la releva des restrictions de la loi, elle n’avait plus en bank-notes que 1,547,270 livres. La diminution de la réserve avait été, dans cette même semaine, de 1,082,845 livres, et, au mois de juillet précédent, la banque avait en mains plus de 5 millions sterling de billets. En admettant que cette diminution se fût continuée dans la même proportion, il devait arriver qu’au bout de peu de jours la réserve de la banque aurait été complètement épuisée, et qu’elle n’aurait plus eu un seul billet pour faire des avances, ou des escomptes, ou n’importe quoi.

On voit que la banque d’Angleterre avait été bien près d’être complètement neutralisée, et il est probable que ce fut la connaissance de cette situation qui détermina le ministère à intervenir.

Bien que, dans la lettre qu’ils avaient adressée aux directeurs de la banque, lord John Russell et le chancelier de l’Échiquier se fussent défendus de toute intention d’abandonner le bill de 1844, on peut cependant le considérer comme désormais révoqué. Le ministère ne conteste plus la nécessité d’y introduire de très graves modifications ; c’est même le seul but officiel pour lequel il convoque le parlement, car jusqu’à présent il n’a pas encore été mis dans le cas d’avoir à demander un bill d’indemnité. C’est en effet une chose assez remarquable, que la banque n’ait pas encore usé de la faculté qui lui avait été donnée de déroger à l’acte de 1844. Du moment où on a su qu’elle était autorisée à faire des avances au-delà de la limite légale, on a cessé de lui en demander. Ce résultat assez curieux semblerait donner raison à ceux qui prétendaient ne voir dans la crise qu’une panique. Selon eux, c’était le manque de confiance qui faisait tout le mal, la peur faisait rentrer tous les capitaux et arrêtait la circulation ; que la banque donnât l’exemple, et la confiance publique se ranimerait à l’instant : une simple démonstration de sa part relèverait le crédit. La démonstration a été faite, et le crédit s’est en effet relevé, du moins en apparence ; l’argent est rentré dans la circulation, et, ainsi que nous venons de le dire, la banque n’a pas même eu l’occasion d’enfreindre la limite qui réglait ses émissions. Ainsi, le 23 octobre, la circulation de ses billets était de 21,265,000 livres. L’acte fut suspendu le 25 ; huit jours après, la circulation n’était augmentée que de 501,000 livres, en même temps qu’il rentrait à la réserve 127,000 livres en or. L’augmentation des billets mis en circulation n’avait donc été que de 380,000 livres, et pour cela la banque n’avait pas eu besoin de violer la lettre de la loi. Elle s’est approchée de plus en plus près de la limite qui lui était naguère imposée, mais elle ne l’a pas encore dépassée ; ce n’est que lorsqu’elle aura émis des billets au-delà de 14 millions sans en avoir la représentation en or qu’elle aura violé l’acte, et que les ministres seront obligés de demander l’absolution au parlement.