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l’orgueil de Londres et l’orgueil de province… bref, ici-bas, toute une armée d’orgueils divers, les uns meilleurs, les autres pires ; mais de tous, depuis le crime de l’ange rebelle, le plus superbe enfle le cœur des saints qui se canonisent les saints, ces hypocrites qui ouvrent humblement les portes du ciel au pécheur opulent, et, pour le pauvre aux jambes nues, n’ont de culottes que les ceps, les entraves de la paroisse ! »

Nous ne suivrons pas le poète dans toutes ses véhémentes apostrophes contre les bigots, les fanatiques, les pharisiens, pour lesquels la religion n’est qu’une minutieuse pratique de certains rites, un recueil de formules, un règlement de police, un tarif de douanes ; contre les saints qui méconnaissent les plus splendides manifestations du créateur et le caractère sacré de la création. Pour les signaler à la défiance de tous, pour les couvrir d’un ridicule ineffaçable, Hood ne ménage ni l’invective, ni les caustiques saillies, ni les images grotesques, ni les anecdotes plaisantes. Son ode prétendue est une épître, et des plus familières, où l’on dirait qu’il a voulu paraphraser, en lui ôtant son caractère de tolérante bonhomie, la chanson de Béranger au Dieu des bonnes gens. On dirait aussi qu’il s’est souvenu des reproches plus modérés, mais non moins précis, que William Cowper, dans son Expostulation, adressait aux hypocrites de son temps en parlant des pharisiens démasqués par le Christ.

When he that ruled them with a shepherd’s rod…
Came…
He found, concealed beneath a fair outside
The filth of rottenness and worm of pride ;
Their piety, a system of deceit ;
Scripture employ’d to sanctify the cheat ;
The Pharisee the dupe of his own art
Self idolised, and yet a knave at heart.

Remarquons aussi que plusieurs des plus populaires auteurs de l’Angleterre moderne ont suivi Hood dans cette levée de boucliers contre l’affectation de piété, les dehors rigides, l’austérité pharisaïque de la bourgeoisie protestante. Bulwer a décoché plus d’une épigramme acérée contre les canters, les ranters[1] ; de la vieille Angleterre. Dickens les a personnifiés dans sa galerie de portraits contemporains en y plaçant l’odieuse figure de l’architecte Pecksniff[2]. Et en ceci, remarquez-le bien, Dickens et Bulwer ont continué une tradition qui remonte assez haut : celle des cavaliers chansonnant les têtes-rondes, celle de Fielding opposant les vices charmans de Tom Jones aux haïssables perfections

  1. Canter, l’hypocrite en paroles, celui qui abuse du mystique jargon des saints ; ranter, celui qui fait grand bruit du moindre scandale, l’homme aux anathèmes véhémens.
  2. Martin Chuzslewit.