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école appelée par les uns école du bon sens, par les autres école néo-classique, fit son apparition en 1843 ; enfin, en 1845, on vit renaître la tragédie grecque, non plus imitée, mais littéralement traduite et tout aussi défigurée ; mais ici encore, comme dans la théologie, comme dans la philosophie, les vivans sont vaincus par les morts. Les grands succès appartiennent aux vieux maîtres, et les nouveautés tombent sur le public comme des flocons de neige pour fondre aussitôt.

Plus heureuse que son auguste sœur, Thalie n’a point vu des bataillons ennemis battre en brèche les murs de son temple. On n’a point insulté ses autels, déchiré sa toge, mais on a faussé sa vocation, on a flétri son sourire, on l’a forcée à déroger, car la bluette a remplacé la pièce à grands développemens, la comédie en cinq actes, de même que la prose a remplacé les vers, attendu que, si la césure et la rime donnent au style des graces nouvelles, elles apportent aussi à la composition de longs retardemens, et que l’intérêt de l’écrivain exige qu’il fasse vite. La production, en fait de grandes ouvres comiques, a été tellement stérile pendant une certaine période, qu’en 1838 l’Académie française, qui depuis cinq ans déjà avait proposé un prix de 10,000 francs pour la meilleure comédie en cinq actes et en vers, déclarait que pendant ces cinq années il ne s’était pas produit une seule œuvre qui non-seulement méritât le prix, mais qui pût même être inscrite au concours. — On a faussé sa vocation, — car sa mission véritable est de donner aux hommes des leçons de morale en les faisant rire, de les égayer aux dépens de leur propre portrait, de s’enquérir des ridicules et des vices, de les flétrir en les peignant, mais, au lieu de rire et d’observer, elle s’est faite le plus souvent érudite. Au lieu de mettre en jeu des caractères et de créer par l’idéal des réalités vivantes, elle a souvent demandé de préférence des personnages à l’histoire, et cette mode nouvelle, dont le Pinto de Lemercier marque le point de départ, s’est développée dans ces dernières années parallèlement à la mode du roman historique. Tandis que le roman et le drame cherchaient leurs types dans les classes intimes de la société, la comédie au contraire empruntait ses héros à la haute aristocratie des vieilles cours, en remontant jusqu’à Richelieu ; et, depuis le règne du cardinal jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il n’est guère de favoris ou de favorites, d’intrigans blasonnés, de ministres même qu’elle n’ait évoqués pour amuser le public. — On a flétri son sourire - parce qu’on l’a faite souvent sentimentale comme une ballade allemande et prude comme les femmes savantes, la littérature de notre temps devant pécher par tous les excès, même par un excès de morale ! — Ce n’est point tout encore ; , elle a oublié ses airs de grande coquette et s’est mésalliée en s’unissant au vaudeville, qui lui a donné pour dot ses couplets et son esprit grivois, union compromettante, dont est née la comédie-vaudeville, genre bâtard, moins indiscret que le vaudeville, moins littéraire que la comédie, et qui a gaspillé en pure perte dix fois plus d’esprit et de verve qu’il n’en eût fallu à des écrivains plus patiens pour produire des rouvres durables. Voilà bien des reproches sans doute, mais nous devons dire, pour l’honneur de notre littérature, que depuis quelque temps une réaction semble vouloir s’opérer en faveur de la comédie sérieuse, de la comédie de caractère et d’observation ; nous devons dire aussi que plus d’une œuvre qui, dans une époque moins productive, aurait pris une place notable, s’est perdue dans le nombre et dans le bruit, et qu’après tout nous ne sommes pas tellement