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théâtral, les systèmes et les controverses auxquelles ces systèmes ont donné lieu ; la troisième enfin, présentant l’inventaire des pièces imprimées[1].

L’histoire du théâtre a fait de notables progrès. Cette histoire ne se renferme plus, comme au temps de La Harpe, dans une analyse froide et sèche des poèmes dramatiques ; elle s’éclaire de l’étude des mœurs, des idées, des sentimens ; elle prend en quelque sorte pour décors toutes les perspectives de la civilisation, et procède par l’analyse, le rapprochement et la comparaison historiques. M. Patin, dans ses Études sur les tragiques grecs, M. Magnin, dans les Origines du théâtre moderne, nous font traverser tour à tour l’antiquité et le moyen-âge. Les frères Parfait, qui furent pendant long-temps les seuls historiens de la scène illustrée par Molière et Corneille, ont eu de notre temps des imitateurs et des continuateurs empressés. Les théâtres les plus modestes eux-mêmes ont trouvé des annalistes. Ainsi le spirituel vaudevilliste Brazier a raconté dans deux volumes l’Histoire des petits théâtres de Paris ; M. Jules Janin a fait un livre sur Debureau, le plus grand et le plus aimé de tous les acteurs du plus petit de ces petits théâtres, et l’auteur d’Indiana a pleuré, dans des pages éloquentes, ce mélancolique héritier d’Arlequin. L’érudition, comme la critique historique, s’est mise en quête de ce qui s’était fait dans le passé. MM. Francisque Michel, de Monmerqué, ont fouillé dans leurs recoins les plus obscurs les grandes bibliothèques de Paris et de la province pour en tirer les farces, les moralités, les mystères, qui formaient, avec les processions, les solennités les plus attrayantes de la vie des bourgeois du moyen-âge, fort peu exigeans du reste en fait de distractions littéraires. C’est surtout de 1836 à 1840 que règne dans toute sa vivacité la mode de ces exhumations dramatiques.

La partie esthétique et polémique de la bibliographie théâtrale, dispersée dans les journaux et les recueils périodiques, est beaucoup plus considérable encore que la partie historique. Ici nous retrouvons en présence cette école révolutionnaire et cette école conservatrice que tant de fois déjà nous avons vues aux prises. La guerre est entre le drame et la tragédie, et, chose vraiment remarquable, cette querelle qui n’est point terminée, et qui peut être durera long-temps encore, cette querelle est aujourd’hui en France vieille de plus d’un siècle. Lamothe le premier s’insurgea contre la Melpomène antique, et, tout en lui laissant son poignard et son cothurne, il tenta de la dépouiller du rhythme et de la condamner à la prose. Les encyclopédistes, qui voulaient convertir tous les arts en organes de la prédication philosophique, inaugurèrent sur la scène la comédie bourgeoise : le Père de famille de Diderot et le Beverley de Saurin marquent le point de départ de ce genre nouveau ; mais, en abaissant le niveau de l’art, on le rendit accessible à la foule des écrivains médiocres. On tomba des auteurs dramatiques aux dramaturges, de Voltaire à Mercier, et, malgré les plaidoyers de Diderot et de Marmontel en faveur du drame, on en revint bientôt à la tragédie classique. Au lieu d’une révolution on n’avait eu qu’une émeute.

Sous l’empire et dans les premières années de la restauration, la tragédie domine

  1. Comme nous ne nous occupons ici que de la production littéraire, nous renverrons nos lecteurs pour tout ce qui concerne l’organisation administrative des théâtres au remarquable travail de M. Vivien, publié dans la Revue du 1er mai 1844.