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II.

Les écrits en prose de Pouchkine n’ont pas eu moins d’influence que ses œuvres poétiques sur les destinées littéraires de sa patrie. Ces écrits méritent un examen à part. Comme prosateur aussi bien que comme poète, Pouchkine a fait révolution, il a fait école. Sous sa puissante influence, la langue russe s’est pour ainsi dire renouvelée.

De toutes les nations slaves, la nation russe est, nous l’avons dit, celle qui est restée la plus fidèle à la langue originaire ; elle la parle sans altération sensible sur la plus vaste étendue de pays où se soit jamais parlée la même langue. Quelques-uns, il est vrai, divisent cette langue en trois dialectes, ainsi classés : celui de la grande Russie, celui de la Russie-Blanche, et celui de la petite Russie, ne remarquant pas que le dialecte de la Russie-Blanche se confond avec le premier, dont il ne diffère réellement que par la prononciation de quelques lettres. Le dernier seulement, qui semble avoir une forme identique à celle de l’illyrien et du croate, s’en sépare assez pour avoir sa littérature distincte. Nous n’avons rien à dire de celui-là. Quant aux deux autres, on l’a vu, ils représentent l’idiome russe, fils aîné du vieux slavon, cette souche mystérieuse dont les racines vont se perdre dans la nuit des âges. C’est au Xe siècle que Jean, exarque de Bulgarie, appliqua la méthode grecque de saint Jean Damascène à l’organisation grammaticale de cette langue. Quelques Russes revendiquent pour leur idiome une origine plus reculée encore. Selon eux, les deux moines Cyrille et Méthodius auraient inventé l’alphabet slavon au VIIe siècle ; ce qui concorderait assez avec l’opinion du grand slaviste Safarjik, qui placé dans l’époque comprise entre le Ve et le Xe siècles les origines des principaux dialectes slaves. Le testament de Wladimir-Monomaque, aussi précieux comme document littéraire que comme pièce historique, peut être considéré comme le plus ancien monument écrit de la langue russe. Puis arrive Nestor à la fin du XIIe siècle, le premier chroniqueur de la Russie : c’était un moine. Viennent ensuite les chants populaires et les fragmens d’une sorte de poème épique portant ce simple titre : Récit des exploits de l’armée de Jégor II, fils d’Oleg. Telles sont les sources d’où le russe moderne s’est dégagé peu à peu.

La nouvelle langue était à peine formée que le pays fut envahi ; la domination étrangère s’y établit. Ici un fait curieux se présente. L’idiome mongol séjourne pendant plus de deux siècles en Russie sans altérer la langue nationale ; seulement il y introduit çà et là une certaine quantité d’élémens nouveaux que le russe s’assimile en leur imposant ses formes et sa prononciation. Déjà en effet la langue russe existait ; elle était complète : elle existait avec la grace et la souplesse de sa phraséologie tour