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sur tous les marchés du globe ; c’est elle qui fait chez nous les importations les plus considérables et qui nous donne en général les meilleurs produits. Vient ensuite l’Amérique, puis l’Allemagne, l’Italie, après l’Italie la Russie, et, tout-à-fait au dernier rang, la Hollande et la Suède. L’Espagne est à peu près sur la même ligne que la Chine ; elle nous a fourni, ainsi que le Céleste-Empire, 4 ou 5 ouvrages de ses romanciers depuis quinze ans. Les étrangers, du reste, nous donnent beaucoup plus que nous ne leur rendons, et il est à remarquer que, s’ils nous ont souvent surpassés dans ce genre, ils ont rarement distingué, parmi nos productions, celles qui méritaient une véritable estime. Il suffit pour les intéresser de leur parler de Paris, de ses mœurs, des divers types de la société parisienne. Tout roman qui se produit avec ces allures est bien accueilli au-delà des frontières, témoin le succès des Mystères de Paris, témoin encore le succès de M. Paul de Kock. « Un roman médiocre, a dit Voltaire, est parmi les livres ce qu’est dans le monde un sot qui veut avoir de l’imagination. On s’en moque, mais on le souffre. Ce roman fait vivre et l’auteur qui l’a composé, et le libraire qui le débite, et le fondeur, et l’imprimeur, et le papetier, et le relieur, et le colporteur, et le marchand de mauvais vin, à qui tous ceux-là portent leur argent. L’ouvrage amuse encore deux ou trois femmes, avec lesquelles il faut de la nouveauté en livres comme en tout le reste. Ainsi, tout méprisable qu’il est, il a produit deux choses importantes : du profit et du plaisir. » Si Voltaire était encore parmi nous, il se montrerait sans aucun doute plus sévère, car le roman n’est plus seulement un sot qui vise à l’imagination, ce n’est trop souvent qu’un spéculateur avide qui cherche par le scandale à improviser sa réputation pour improviser sa fortune ; c’est un roué qui prêche la morale, un sceptique qui parle dévotion, un égoïste qui célèbre les joies de l’amour et du dévouement. Ambitieux bien au-delà de ses forces, au lieu de s’en tenir sagement à l’étude du cœur humain, il s’est posé en réformateur, en prédicateur politique ; il a voulu intervenir dans toutes les affaires actives, gouverner le monde. C’est dans ce genre surtout qu’on retrouve les traces profondes du mal qui travaille notre société, le désordre des esprits, le déploiement aventureux de la raison ou plutôt de la folie individuelle. Le roman a parcouru tant de voies diverses, il a tenté un si grand nombre d’aventures, il a touché à tant de choses, souvent pour les flétrir, qu’il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de le suivre dans tous les replis du labyrinthe où il s’est égaré. Nous devons donc nous borner à des indications générales.

Le roman historique, né de Walter Scott, est en pleine floraison en 1830. Lors même qu’il se cantonne dans le moyen-âge, toutes ses sympathies sont acquises aux classes perverses et dangereuses. Il établit son quartier-général dans la cour des Miracles ; il s’inspire de la Bazoche, des mystères de la table de Marbre, des oubliettes de Saint-Germain ; il s’accoude avec le roi des ribauds sur les tables vermoulues des tavernes en blasphémant contre les saints, en vendant au besoin son ame au diable, et les truands qu’il fait agir et parler sont aussi faux que les Romains ou les Grecs de Mlle de Scudéry. Pour faire revivre dans la fiction les réalités de l’histoire, il faut commencer par connaître le passé, et c’est précisément ce qui a manqué toujours aux disciples de l’auteur d’Ivanhoë. Plagiaires maladroits, ils se sont attachés à calquer la forme, tandis que c’était le fond même de l’histoire qu’il fallait saisir. Sans avoir aucune des qualités du maître,