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l’égard des médiocrités, et l’indifférence dont on l’accuse n’est souvent de sa part qu’une preuve de bon goût. Qu’on jette un coup d’œil rapide sur les productions de la muse contemporaine, et on reconnaîtra que le public a toujours été juste envers les poètes, mais qu’il eût été difficile de s’occuper de tous les rimeurs, et d’être complaisant envers des vanités littéraires qui jetaient en pâture à la foule plus d’un volume de poésies par jour.

Vers 1830, on étudiait les littératures étrangères ; dix ans plus tard, quand la curiosité se fut épuisée de ce côté, on en revint à l’antiquité classique, et la réaction, chose remarquable, s’opéra par les romantiques eux-mêmes. Tandis qu’on transportait sur la scène les chefs-d’œuvre du théâtre grec, quelque peu travestis par un mot à mot rimé, on remontait, comme à une source limpide, aux inspirations des muses grecques et romaines. Anacréon a été traduit plusieurs fois en vers. Horace, le poète des sages, est devenu le poète des vieux généraux, des colonels de l’empire, des notaires et même des femmes. En fait de versions poétiques de l’antiquité, nous sommes aujourd’hui plus riches qu’aux beaux jours des humanités classiques. C’était peu cependant que d’habiller d’une robe française les muses romaines ; on a souvent aussi revêtu les muses françaises de la toge latine, et l’hexamètre ne fleurit pas seulement au grand concours. Bien des gens, sans être professeurs, montent encore au Parnasse en s’aidant du Grades, et les poètes latins modernes forment un petit cénacle, où se distinguent parmi les hommes d’esprit M. Théophile Gautier, auteur d’un poème inédit De Arte natandi, et parmi les successeurs de M. Benaben, le chantre iambique des solennités royales de la restauration, M. Billecocq, auteur de six poèmes, dont un sur la rosière de Surènes et l’autre in relidionem apud Gallos perpetuo triumphantem ; M. Grandsire, qui traduit en vers latins les fables de Lamotte et de Florian, et M. Groult de Tourlaville, qui, dans la Vierge de Bleudon, fait parler en hexamètres un rédacteur du journal la Caricature :

In Caricaturâ primos sibi poscit honores
Musa jocans ; turpe est equidem, sed fingere falsa
Excello, etc.


Hexamètres que M. Groult de Tourlaville traduit par ces alexandrins :

C’est moi qui suis chargé dans la Caricature
Des articles de fond, l’outrage et l’imposture ;
C’est le plus dégoûtant, mais j’excelle à mentir, etc.

La poésie hébraïque, comme la poésie latine, a eu sa résurrection. MM. Belais, Biding, professeurs d’hébreu à Metz, et Carmoli, grand rabbin, laissent rarement passer une année sans adresser à Dieu des prières pour le roi des Français, et des odes en hébreu à la France.

Dans la vie des hommes de lettres de notre temps, la poésie forme un épisode inévitable, et la plupart ont été visités par la Muse. Les uns, après quelques essais plus ou moins malheureux, se sont convertis à la prose ; les autres sont restés poètes comme on reste amoureux en vieillissant, avec mystère, et bien souvent les vers de la jeunesse sont en contradiction flagrante avec la prose de l’âge mûr. On peut, sans chercher long-temps, trouver dans la Littérature française contemporaine quelques indications piquantes. Ainsi le début littéraire