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flamme ni sourire. Dès les premières rencontres avec les troupes républicaines, on put voir que son courage lui-même avait changé de caractère. L’ardeur vaillante qu’il savait si bien communiquer à ses soldats s’était transformée en une froide témérité qui semblait moins poursuivre la victoire que provoquer la mort ; mais celle-ci ne voulait point de lui. Les balles se détournaient de son panache, les sabres s’émoussaient contre sa soie et son velours. On le voyait s’enfoncer au petit pas de son cheval dans les nuages de poudre que déchiraient les éclairs de la mousqueterie et en ressortir sans blessures. Ces imprudences toujours heureuses causaient aux chouans une surprise à laquelle se mêlait une sourde désapprobation.

— Il tente Dieu ! répétaient-ils à demi-voix ; Dieu se lassera.

Il se lassa en effet. A l’attaque du bourg de Daumeray, en Anjou, les républicains, qui s’étaient retranchés, selon l’habitude, dans l’église, repoussèrent victorieusement les insurgés. Toutes les tentatives pour incendier leur retraite avaient été inutiles ; les plus braves étaient tombés morts ou blessés ; la troupe, découragée, se retirait. M. Jacques saisit alors un faisceau de torches de paille enflammée et s’avança lentement vers l’église ; mais, à moitié chemin, on le vit chanceler ; il étendit les bras et tomba. Un de ses soldats accourut pour le relever ; il respirait encore. On le transporta dans une ferme voisine, où il mourut trois jours après, emportant dans la tombe la fortune de la chouannerie en même temps que le secret de son désespoir.

Quelques contemporains crurent pourtant en avoir pénétré la cause ; ils parlaient d’une jeune fille noble (dont nous devons taire le nom bien connu), qui, éperdument éprise d’un officier vendéen, l’avait suivi jusqu’à la défaite du Mans, où elle l’avait vu périr. Réfugiée avec sa nourrice dans un manoir de sa famille, elle y avait couvé contre la république une haine impuissante jusqu’au moment où le hasard lui avait amené le gentilhomme de Brissarthe. Alors, exaltée par le ressentiment, elle avait accepté l’amant vivant qu’elle ne pouvait payer de retour, afin d’en faire le vengeur du mort qu’elle continuait à aimer. M. Jacques découvrit sans doute la vérité, et, frappé dans son rêve le plus cher, il se jeta à la mort en désespéré.


IV.

La première époque de la chouannerie avait fini avec Jean Cottereau ; la seconde, qui fut celle des grands combats et de l’organisation sérieuse, se termina à la mort de M. Jacques. Partout, sauf dans le Maine, l’insurrection avait insensiblement changé de caractère ; elle était passée des mains des paysans dans celles de la noblesse ; de populaire, elle devenait politique. L’intrigue allait mêler sa fange à ces flots