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— J’aurais voulu vous laisser tout le mérite d’un pur dévouement, reprit-elle ; mais, puisqu’il vous faut dans cette lutte un intérêt et une affection à défendre, vous l’aurez.

Et se tournant vers moi, elle ajouta avec résolution :

— Monsieur bénira aujourd’hui notre mariage.

Je n’eus point le temps de répondre. M. de la Mérozières, hors de lui, venait de tomber aux genoux de la jeune femme, dont il couvrait les mains de baisers. Elle s’efforça d’apaiser ces transports avec un embarras impatient et douloureux ; mais il n’y prit point garde. Étourdi de bonheur, il était incapable de rien juger. Les explications indispensables pour autoriser l’exercice de mon ministère purent seules arrêter cet épanchement de folle joie. L’orage qui bouleversait alors la France exemptait le prêtre des délais et des précautions exigés dans les jours de calme. Embarqué sur un navire près de faire naufrage, il relevait directement de Dieu et ne devait chercher de règle qu’en lui-même. Je consultai ma conscience avec sincérité, et, fort de son approbation, je passai outre au mariage.

La cérémonie fut célébrée dans la chapelle, qui n’avait plus de toit et dont les murs tombaient en ruine. Le lieu, le jour, les acteurs, donnaient à cette solennité quelque chose de lugubre. Les deux fiancés s’agenouillèrent devant l’autel de pierre rongé par la mousse ; Coeur-de-Roi et un autre paysan, appuyés sur leurs fusils, servaient de témoins, tandis que la vieille nourrice qui avait élevé Mme Armande pleurait à genoux près de la porte. Un vent d’automne sifflait dans les arbres qui ombrageaient la chapelle, et nous couvrait à chaque rafale d’une pluie de feuilles mortes. Quand les nouveaux époux se relevèrent, le visage de M. Jacques était illuminé d’une ivresse triomphante ; celui de la jeune femme me parut avoir quelque chose de funeste.

Elle me demanda peu après au manoir. Je la trouvai assise sur une chaise longue près de M. de la Mérozières. Elle voulait savoir de moi dans quel état j’avais laissé l’insurrection. Je lui racontai ce que j’avais déjà dit à M. Jacques, en ajoutant que sa réapparition pouvait seule relever les courages.

— Il partira demain, répondit-elle ; il me l’a promis. J’aurais voulu pouvoir le suivre, mais vos paysans ne le permettraient pas ; la présence d’une femme dans leurs rangs serait un scandale dont ils demanderaient compte au chef qui l’aurait amenée. Je ne puis me mêler à cette lutte que par la pensée.

Et, reprenant tous les détails que je venais de lui donner, elle se mit à analyser les ressources de la chouannerie, à calculer les bénéfices même de la défaite, à compter toutes les plaies par lesquelles, avant de succomber, l’insurrection ferait couler le sang républicain. Sans illusions sur le résultat définitif, elle cherchait évidemment moins la