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placé sur la route. Cinq soldats républicains qui y furent surpris proposèrent de décider la garnison d’Astillé à se rendre sans combat ; mais il n’était déjà plus temps. La première colonne avait commencé le feu malgré les ordres de Jambe-d’Argent, qui accourut au bruit de la fusillade. En arrivant, il trouva que les bleus s’étaient retranchés dans l’église et s’y défendaient avec avantage. Ses compagnons, voyant que quiconque voulait approcher était infailliblement atteint, se précipitèrent dans les maisons, d’où ils croyaient pouvoir tirer sur l’ennemi avec moins de danger ; mais alors les habitans, effrayés, prirent la fuite au milieu des balles qui se croisaient, et, en un instant, la place fut couverte de femmes éperdues, de morts et de blessés, dont les cris empêchaient de faire entendre aucun commandement.

Jambe-d’Argent, qui avait espéré enlever par surprise le poste républicain, comprit que la précipitation et la désobéissance de son avant-garde avaient tout compromis. La fusillade, entendue des cantonnemens voisins, allait les attirer sur Astillé. En prolongeant l’attaque, on s’exposait à être enveloppé. Il ne restait plus d’espoir que dans l’intervention proposée par les cinq prisonniers faits au hameau de La Porte. Il les fit demander à la hâte ; mais, dans ce moment même, ceux qu’il avait préposés à leur garde accoururent, pâles d’horreur, en criant que Mousqueton venait de les égorger. Il n’avait voulu écouter ni les représentations des chouans, ni les prières de ces malheureux, qui lui demandaient grace ; il les avait sabrés tous cinq, les mains jointes et à genoux ! Lui-même parut dans ce moment. Il accourait de son pas inégal, le visage marbré par le sang des victimes, ses yeux louches enflammés d’un délire sauvage et poussant ces cris de bête fauve qui le faisaient reconnaître entre tous. Il venait de découvrir un amas de fagots qu’il montrait à ses compagnons.

— Vite, vite, criait-il, dressez les bourrées et apportez le feu.

— Que veux-tu faire ? demanda Treton.

— Brûler l’église, dit Mousqueton, pour que les bleus changent de couleur et deviennent rouges.

Les chouans répondirent par une acclamation et coururent aux fagots. Jambe-d’Argent, déjà ému du meurtre des prisonniers, se senti saisi de pitié pour les malheureux que l’on allait brûler. Il s’élança vers ses gens, auxquels il défendit de passer outre. Une réclamation générale s’éleva.

— C’est le seul moyen, répétaient toutes les voix ; tu ne peux nous empêcher de combattre les patauds. Ce serait une honte à toi de les défendre.

Et les fascines continuaient à s’entasser ; déjà elles touchaient le toit ; vingt torches de paille venaient de s’allumer et allaient y mettre le feu. Jambe-d’Argent arma son fusil.