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En Espagne, les événemens que nous avions pu annoncer avec certitude se sont accomplis. L’ordre a été rétabli dans les affaires privées comme dans les affaires publiques. Le roi don François est rentré dans le palais ; la reine Christine est retournée auprès de sa fille, et elle paraît devoir y prolonger quelque temps son séjour, car elle a rappelé ses enfans de Paris. Le général Narvaez complète son œuvre en s’adjoignant peu à peu dans le cabinet les hommes principaux du parti modéré. Il vient de se retirer lui-même du ministère des affaires étrangères, que la reine a confié au duc de Sotomayor, marquis de Casa Irujo, ancien ambassadeur en Angleterre et ancien président du conseil. M. Beltran de Lys a été appelé au ministère de la marine, dont le général Cordova faisait l’intérim. Le général Cordova était encore, à la date des dernières nouvelles, au ministère de la guerre ; mais il est douteux qu’il y reste long-temps. Le général Narvaez conserve toujours la présidence du conseil.

L’ambassade de Londres aurait été, dit-on, offerte au général Espartero. Cette proposition n’aurait pas été acceptée quant à présent, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne doive jamais l’être. Il n’est pas probable, du reste, que le duc de la Victoire songe à retourner en ce moment en Espagne.

Si, à Madrid, le ministère nouveau n’a pas encore fait beaucoup, c’est qu’il a eu beaucoup à défaire. Depuis son entrée aux affaires, il n’est occupé qu’à révoquer les décrets rendus à tort et à travers par ses prédécesseurs. Le nombre de décrets que M. Salamanca avait lancés dans la circulation ne peut s’assimiler qu’au système des assignats. Ce directeur des finances et ministre du Cirque avait, dans son court passage au pouvoir, fait sur le papier les plans les plus fabuleux ; nous croyons même qu’il était allé jusqu’à s’engager à liquider la dette de l’Espagne. Toutes ces grandes entreprises, le nouveau ministère les a sagement ajournées, et il a suspendu l’exécution des décrets jusqu’à la prochaine réunion des cortès.

Nous avons été pris à partie par certains journaux anglais, pour nous être permis d’attribuer à M. Bulwer une part active dans les intrigues qui ont scandalisé non seulement Madrid, mais toute l’Europe. Nous voudrions bien savoir, en vérité, en vertu de quel droit la personne de M. Bulwer serait plus inviolable à nos yeux que ne l’est, pour la presse anglaise, la personne du roi des Français ou celle de la reine Christine, ou celle de la reine d’Espagne. Nous lisons quelquefois les correspondances anglaises de Madrid, nous y voyons avec quelle licence et quel cynisme y sont traités des personnages au moins aussi respectables que M. Bulwer. Nous lisons aussi les journaux anglais, et nous y voyons parler d’intrigues d’alcôves et de scènes d’orgies nocturnes en des termes qui bravent l’honnêteté, et nous y avons vu l’autre jour la reine Christine allant rejoindre sa fille, dénoncée, elle et son mari, comme « des chiens qu’on lâche sur une proie sans défense. » Et les journaux anglais, qui en prennent si à leur aise avec les rois et les reines, se formalisent qu’on mette au jour les petites intrigues de l’immaculé M. Bulwer !

M. Bulwer doit être, du reste, un ministre selon le cœur de lord Palmerston, précisément parce qu’il a l’art de se mettre en opposition avouée avec le gouvernement auprès duquel il est accrédité. Cependant, s’il faut en croire divers symptômes, on commencerait à se lasser, en Angleterre même, de cette perpé-