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Mais, chez un peuple habitué à manier aussi lestement et aussi hardiment l’arme dangereuse du crédit, cette explication de la crise était trop simple et trop timide pour pouvoir être populaire. Il était bien plus commode d’en rejeter toute la faute sur la législation, et une croisade générale a été entreprise contre la charte donnée en 1844 à la banque d’Angleterre par sir Robert Peel. Non, disait-on, le pays n’est pas pauvre ; il est riche, plus riche qu’il n’a jamais été. Ses produits ne se sont pas amoindris ; ce qui lui manque, c’est le moyen de circulation, circulating medium ; c’est l’instrument, métal ou papier, qui sert à l’échange. Cet instrument, la banque pourrait le fournir ; elle pourrait rétablir la circulation dans les veines du pays et ranimer ce grand corps qui se meurt ; mais une loi impitoyable lui enchaîne les mains et la condamne à fermer les sources d’où pourraient sortir la vie et l’abondance.

L’acte de 1844 était-il réellement si coupable ? Quel en était le but, le but spécial et unique ? De contrôler le papier-monnaie du pays, d’établir le crédit sur des bases solides, de faire qu’un billet de 5 livres sterling fût exactement aussi bon que cinq souverains en or. Or a-t-il atteint ce but ? Ses défenseurs répondent hardiment : Oui. Ainsi, un fait assez remarquable, c’est que les banques, à de très rares exceptions près, n’ont point participé à la panique générale qui a frappé le commerce. Cette loi même, qui est l’objet de tant d’attaques, les a soustraites forcément aux hasards de la spéculation ; elle les a préservées du jeu. Il n’a pas été permis à telle ou telle banque de jeter dans la circulation une masse de papier sans valeur, au détriment de telle ou telle autre, plus prudente et plus honnête. Précédemment, les crises tombaient à la fois et sur le commerce et sur les banques. En 1825, par exemple, il y eut à Londres sept faillites de maisons de banque ; il y en eut dans les comtés cent soixante-sept. Cette année, on cite à peine quelques banques qui aient suspendu leurs paiemens. Les maisons qui sont tombées étaient des maisons de commerce : elles étaient engagées soit dans les chemins de fer, soit dans les affaires coloniales, soit dans des spéculations hasardeuses dont elles attendaient des profits qui ne sont pas venus ; mais, au milieu de ces chutes nombreuses et de la panique qui en a été la suite, la base de la circulation n’a pas été ébranlée. Au plus fort de cette crise, les billets de banque sont constamment restés aussi bons que de l’or. C’est là ce qui n’était jamais arrivé, et cela est dû à l’acte de 1844. Autrefois le mal avait bien plus d’extension et causait bien plus de ravages. Les faillites des banques frappaient indistinctement les grands et les petits, et les innocens en étaient les premières victimes. Dans la crise actuelle, ceux-là seuls ont souffert qui étaient engagés dans le commerce, dans l’industrie ou dans la spéculation. Ils ont couru les chances, ils ont été les uns imprudens, les autres seulement malheureux ; mais enfin le public proprement dit est resté à l’abri de l’orage, qui a passé à côté de lui sans le toucher.

Cette sécurité même qui est restée solidement attachée au papier des banques est devenue un argument pour les adversaires du bill de 1844. Comment ! la banque d’Angleterre avait en réserve plus de 8 millions sterling ; ses billets valaient de l’or, et cependant on doutait de son crédit, on ne voulait pas lui permettre de jeter dans la circulation seulement 2 millions de plus ! Raisonner ainsi, c’était oublier que la première condition de la sûreté du papier de la banque était précisément la limite assignée par la loi à son émission. Le papier