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sur leur responsabilité, se réservant de demander au parlement un bill d’indemnité.

La liberté rendue à la banque a produit un effet soudain et magique. On dirait qu’elle a dégagé le commerce anglais d’une espèce de strangulation. La panique s’est calmée, et les affaires ont repris comme par enchantement. Est-ce un retour véritable à la santé, ou bien n’est-ce qu’une sorte de résurrection galvanique ? C’est ce que quelques mois, peut-être seulement quelques semaines d’expérience, pourront nous apprendre.

On a beaucoup discuté sur les causes de la crise commerciale de l’Angleterre. Les uns l’ont attribuée aux suites de la famine de l’année dernière, au développement immodéré donné aux entreprises de chemins de fer et aux abus de la spéculation. L’organe principal de la banque a considérablement blessé l’orgueil anglais, en disant tout crûment que le pays était pauvre. L’Angleterre a eu une famine ; elle a été forcée d’aller chercher sa subsistance au dehors, et elle s’est endettée avec l’univers. Or, une nation devient pauvre absolument comme un individu ; une nation est une collection d’individus, d’hommes, de femmes et d’enfans. Si chacun a eu plus de besoins, a fait plus de dépenses et plus de dettes, la nation en représente la somme totale. Ainsi, il a été importé depuis un an en Angleterre des grains pour 25 millions de livres sterling ou 625 millions de francs. Il a fallu payer cette énorme importation soit en argent, soit en billets, soit en produits manufacturés. Or, comme l’exportation des articles de manufacture a été cette année beaucoup moins considérable que d’ordinaire, la sortie des capitaux et l’émission des billets s’en sont accrues d’autant. L’argent est parti, les billets rentrent à l’échéance ; c’est tout simplement le quart d’heure de Rabelais.

Le trouble apporté dans les relations commerciales par les conséquences de la famine aurait pu seul suffire pour produire une crise ; mais il y a eu autre chose encore. Ainsi, au moment même où une calamité imprévue et irrésistible la frappait aux sources de la vie et semblait devoir lui imposer un redoublement d’ordre et de prudence, l’Angleterre s’est au contraire jetée à corps perdu dans la spéculation ; elle a enfoui ce qui lui restait de capital dans des entreprises improductives, et a continué ses opérations commerciales sur les bases d’un crédit purement artificiel. On a calculé, par exemple, que les actionnaires des chemins de fer cotés à la bourse de Londres avaient encore à verser 100,436,000 livres sterling, et, dans le moment le plus fort de la crise, les compagnies faisaient encore des appels de fonds qui montaient à près de 4 millions de livres ou 100 millions de francs par semaine. L’Angleterre a donc fait comme un simple particulier qui, dépensant déjà plus que son revenu et mangeant son capital, ne s’en met pas moins à construire des châteaux et à faire des plantations. Au milieu de ses embarras, elle a voulu continuer son train ordinaire, bâtir, planter, faire des chemins de fer ; elle a fait des billets, et, pour les payer, elle emprunte à tout prix. Toute extension que le gouvernement pourra donner au crédit n’accroîtra pas le capital ; ce ne sera qu’un dérangement introduit dans l’ordre naturel. Chacun doit supporter le moment présent comme il pourra. Les plus faibles succomberont ; mais on n’aurait pu les sauver de leur sort qu’en en sacrifiant d’autres : il faut que le mal ait son cours, et que ceux qui ont abusé du crédit portent la peine de leurs excès.