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ou de ses émules, à un rapport officiel. Il était permis, assurément, de souhaiter à la critique dramatique moins de brièveté et de raideur ; mais la réaction n’a-t-elle pas été un peu trop vive ? On a fait, pour les choses de l’esprit, comme ces riches qui finissent par se blaser sur les plaisirs ordinaires, et qui ne croient pouvoir s’amuser un peu que lorsqu’ils dépensent beaucoup. Il serait à désirer, sans que l’esprit y perdit rien, que la discussion sérieuse, équitable, revendiquât plus souvent ses droits. Le public aussi pourrait exercer une autorité plus bienveillante et plus attentive on sait quelles affinités précieuses ont existé de tout temps entre la Comédie-Française et cette société polie, à demi lettrée, à demi mondaine, dont l’influence se révèle à toutes les pages heureuses de notre littérature. Depuis quelques années, on a fort réprimandé les auteurs, et ils n’y ont, hélas ! que trop donné prise ; mais les gens du monde sont-ils à l’abri de tout reproche ? N’ont-ils pas un peu négligé ce goût des lettres, cette culture de l’intelligence, tout ce qui fait, en un mot, le charme et la distinction de l’esprit ? Nous ne contestons pas ce qu’il y a d’honorable à discourir sur les ingénieux mystères du sport aussi pertinemment qu’un maquignon ou un jockey ; mais, après ces nobles délassemens, n’y aurait-il pas moyen de déroger quelque peu, et d’aller, par exemple, applaudir Molière ou encourager un excellent acteur, cherchant à retrouver toutes les intentions du sublime poète ? N’est-il pas remarquable que dans les deux derniers siècles, siècles de bon plaisir et de régime absolu, où les rangs étaient rigoureusement séparés, il y ait eu, par le fait, entre les salons et l’art, plus de cordiale entente et de bons procédés réciproques qu’il n’en existe de nos jours, où toutes les classes sont confondues, et où la littérature émancipée ne demande plus qu’à elle-même ses récompenses et ses appuis ? Du temps de Fleury, les grands seigneurs de Versailles et de Trianon ne dédaignaient pas de montrer au comédien comment il fallait s’y prendre pour saluer une femme de bonne compagnie : aujourd’hui nos élégans n’ont garde de l’enseigner ; c’est peut-être par scrupule de conscience, et parce qu’ils ne sont pas bien sûrs de le savoir eux-mêmes.

Nous avons cru retrouver quelques traces de ce goût délicat, raffiné, bienveillant, aux dernières soirées de l’Opéra. Les connaisseurs ont eu à remonter bien haut dans leurs souvenirs pour trouver quelque chose de comparable à ce merveilleux contralto qu’on appelle Mlle Alboni. C’est l’ampleur, la force virile de Mme Pisaroni, unie à l’élégante souplesse de Mlle Sontag. La voix de Mlle Alboni possède presque également les trois registres et parcourt plus de deux octaves : tout le registre inférieur est d’une incomparable beauté ; le medium, quoique un peu plus faible, est irréprochable, et les notes aiguës sont d’une exquise douceur. Joignez à cela une facilité de vocalisation inouie, assez de verve et de brio pour surmonter les froideurs du pupitre et du morceau détaché, quelque chose de riche et de spontané dans le chant comme dans toutes les facultés de cette heureuse nature, et vous comprendrez sans peine que le triomphe de Mlle Alboni ait été de ceux qui rejettent un peu dans l’ombre ce qui les précède et ce qui les suit. Maintenant, après avoir su attirer une cantatrice aussi éminente, il faut que l’Opéra sache l’employer, et c’est ici que l’on rencontre la seule objection qu’ait soulevée le début de Mlle Alboni. Cette voix si splendide, cette méthode si magistrale, qui eussent si aisément trouvé leur place dans le répertoire italien, s’arrangeront-elles aussi bien de nos opéras, où