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et subtile d’une maladie de l’ame ; mais il n’offre qu’un côté de l’art dramatique. Par ce qui lui manque et par ce qu’on y trouve, Chatterton est un de ces ouvrages qui mettent un auteur en demeure de prouver qu’il possède, comme tout vrai talent, la force de se renouveler. Chatterton est quelque chose, Chatterton est même beaucoup ; mais si j’affirmais qu’au-delà de Chatterton il n’y a plus rien, M. de Vigny serait, j’en suis sûr, le premier à me contredire.

On a aussi l’espérance de voir travailler pour le Théâtre-Français des écrivains qui ne se sont signalés encore que dans le roman. Croit-on qu’il n’y ait pas, dans les beaux récits de M. Jules Sandeau, des passages qui, transportés sur la scène, offriraient tout ensemble un vif intérêt dramatique et un haut enseignement moral ? Croit-on que la verve railleuse de M. Alphonse Karr, cette verve qui cache tant de bon sens sous tant de fantaisie, ne saurait pas intéresser à la peinture de ces ridicules, de ces travers, de ces contradictions plaisantes qui, récemment encore, lui ont fourni, dans cette Revue même, de si aimables pages ? S’il est vrai, comme on l’assure, que la portion plus militante et plus aventureuse de nos conteurs se décide aussi à entrer en lice, ne sera-t-il pas piquant de voir en présence l’école des analystes et celle des inventeurs ? Et n’y aura-t-il pas, dans ces essais, dans ces parallèles, dans ces nouveaux sujets d’émulation et d’étude, quand même il n’en résulterait pas toujours des chefs-d’œuvre, un intérêt assez vif, assez varié, assez populaire pour ressembler déjà à un succès ?

En dehors de ses ressources présentes, des richesses qu’elle possède et de celles qu’elle peut espérer, la Comédie-Française doit encore appeler à elle d’autres auxiliaires. On aimerait à la voir devenir un centre autour duquel se grouperaient les forces intellectuelles du pays, non seulement pour concourir directement à sa prospérité, mais pour agir par leurs conseils, par une influence délicate et bienveillante. L’Allemagne pourrait à ce propos nous fournir un exemple de l’efficace intervention de la critique dans le domaine de l’administration théâtrale. Un dramaturge, un poète-critique, surveille au-delà du Rhin les intérêts de chaque entreprise dramatique, conseille la direction, lui sert d’interprète auprès de la foule, et fait l’éducation du peuple en le préparant à l’intelligence de l’art[1]. On comprend sans peine tout ce que peut avoir d’utile ce rôle d’interprétation au dedans et au dehors, cette surveillance exercée tantôt sur le théâtre au profit du public, tantôt sur le public au profit du théâtre. Pourquoi n’essaierait-on pas, en France, quelque chose d’analogue, non pas en concentrant cette tâche sur un seul, et en lui donnant ce caractère régulier et permanent dont s’arrangerait mal notre esprit d’indépendance et de contrôle, mais en choisissant, dans toutes les spécialités, des hommes éminens qui formeraient, pour la Comédie, une sorte de chambre des conseils ? L’érudition, les arts, les littératures étrangères, la science du monde, auraient leurs représentans dans cette magistrature officieuse, intelligente médiatrice entre la scène et les spectateurs. Ce serait là un moyen sûr de nouer et de resserrer ces relations attentives, assidues, positives, qui doivent unir la Comédie-Française, la critique et le public.

La critique, aujourd’hui, n’est plus ce qu’elle était autrefois. L’époque est passée, et nous le constatons sans regret, de ces bulletins précis, détaillés, qui ne s’écartaient jamais de leur sujet, et qui ressemblaient, sous la plume de Geoffroy

  1. Voyez, dans la livraison du 15 octobre dernier, l’étude de M. Saint-René Taillaner sur le Théâtre moderne en Allemagne.