Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en aussi peu de temps. Grace au goût sévère, magistral, qui les a dirigés, ces embellissemens ont le double mérite d’être au niveau des exigences de notre époque et de rappeler, par des analogies réelles, la destination spéciale de la Comédie-Française. Remarquez en effet que ce théâtre doit être à la fois l’interprète du présent et le dépositaire du passé. Les rattacher l’un à l’autre par une chaîne intellectuelle qui commence à Rotrou, à Corneille, pour aboutir aux hommes de talent que nous possédons, à l’homme de génie que nous saluerons peut-être un jour, voilà la tâche du Théâtre-Français, et c’est ce double caractère qu’offre la salle restaurée. Il y a dans cette galerie des bustes enrichie et rajeunie, dans ces cariatides qui soutiennent les avant-scènes, dans ce fond rouge foncé des loges si favorable à l’effet général et qui tranche si heureusement sur le fond blanc et or de la salle, quelque chose de monumental, une beauté noble et simple qui fait penser à Louis XIV et à Versailles. Le plafond, de MM. Gosse et Cicéri, rappelle aussi le style un peu flamboyant des maîtres du genre dans les anciennes écoles françaises. Il est donc permis d’applaudir sans réserve à la restauration splendide et complète du théâtre.

Cette restauration matérielle en amènera-t-elle une autre, plus sérieuse et plus importante ? Ce qu’on peut dire dès aujourd’hui, c’est qu’il y aura d’énergiques et persévérans efforts pour que la Comédie-Française puisse compléter ce qui lui manque et tirer parti de ce qu’elle possède. Le spectacle de ses forces actuelles a offert, depuis sa réouverture, quelque chose de rassurant. Sans parler de la tragédie, où Mlle Rachel a déployé sa supériorité accoutumée, les Femmes savantes, le Malade imaginaire, l’École des Femmes, la Critique, le Mariage forcé, tout ce magnifique répertoire de notre grand comique, qui a sur la tragédie l’avantage de ne pouvoir vieillir, a été joué avec une perfection, une verve, qui laissent bien peu de prise à cette portion chagrine des spectateurs, laudatrix temporis acti. Il serait temps que le Théâtre-Français fût affranchi de cette sorte de dénigrement rétrospectif, à laquelle le condamne la nature même de son répertoire et de son public. Rien de plus respectable, assurément, en fait d’art comme en toutes choses, que la fidélité des souvenirs ; mais, en s’obstinant à écraser sans cesse les talens actuels par une comparaison malveillante avec les talens d’autrefois, les hommes d’expérience, qui pourraient rendre de vrais services et continuer les traditions, ont le double tort de décourager les artistes, et d’éloigner du Théâtre-Français la génération nouvelle. Sans doute, il eût été désirable que des acteurs comme Préville et Fleury, Mlles Mars et Contat ne pussent ni vieillir ni disparaître. Toutefois, comme du temps de ces artistes célèbres il y avait déjà des spectateurs qui cherchaient à les rabaisser en exaltant leurs prédécesseurs, comme les vieillards qui avaient vu Baron appelaient Lekain le taureau, on nous permettra de voir, dans cette manie de vanter ce qui n’est plus aux dépens de ce qui est, une faiblesse d’esprit plutôt qu’une marque de goût. Mieux vaudrait, dans l’intérêt de l’art et de nos plaisirs, encourager le présent par des avertissemens sincères et des éloges mérités ; mieux vaudrait reconnaître, avec les juges les plus éclairés et les plus sévères, que, malgré quelques vides qu’on va s’efforcer de combler, Molière a trouvé et trouve encore des interprètes dignes de lui.

En se rouvrant sous les auspices de ce grand homme, la Comédie-Française a fait preuve, selon nous, de reconnaissance et de tact, et noue ne comprenons guère qu’on lui ait reproché de n’avoir pas joué, dès le premier jour, un ouvrage