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Danemark, au lieu de les aller chercher dans un port du Zollverein. Tönningen n’est pas si loin de Hambourg.

A tout cela maintenant quelle conclusion ? Personne assurément ne se désolera de voir ébrécher ainsi le monopole commercial de l’Angleterre ; personne non plus n’est jaloux de voir l’influence moscovite s’avancer toujours sur l’Occident. Il y a mieux, on doit admirer du fond de l’ame cette constance intrépide avec laquelle les Allemands travaillent à reconstituer pacifiquement un empire unitaire. J’ai peur seulement qu’à côté d’un grand pays prohibitif et militaire comme le nôtre, le soudain avènement d’un autre grand pays militaire et prohibitif ne soit une occasion de bien durs froissemens ; j’ai peur que nous ne soyons point assez préparés à les adoucir pour ne les avoir point assez prévus d’avance. Ce n’est point ici question de justice ; je ne me sens ni beaucoup d’indignation contre l’entêtement égoïste de Hambourg, ni beaucoup d’attendrissement pour les sensibleries puritaines du patriotisme germanique. Ce n’est point ici question de justice, c’est question de puissance et de domination : chacun pour soi et Dieu pour tous ; le prix est de droit aux mieux faisant. Or, Bossuet l’a dit comme malgré lui, au milieu d’un livre composé tout exprès pour prouver la vanité de la politique dans l’histoire : « Les hommes et les nations ont toujours eu des qualités proportionnelles à l’élévation à laquelle ils étaient destinés… Qui a prévu de plus loin, qui s’est le plus appliqué, qui a duré le plus long-temps dans les grands travaux, à la fin a eu l’avantage. » Quoi qu’on puisse penser de notre niveau d’aujourd’hui, j’ai peur que nos qualités présentes n’aient pas même la proportion qu’il faudrait pour l’atteindre.


ALEXANDRE THOMAS.