Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/539

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire pour l’Allemagne entière, toute saisie de l’idée d’unité nationale sous cette forme rajeunie de l’alliance maritime, ç’a été une violente irritation ; un amer découragement.

Je ne crois point qu’il vaille beaucoup la peine d’étudier la théorie du libre échange dans les élucubrations des sénateurs de Hambourg, pas plus qu’on ne gagnerait à méditer les lois de la protection dans les discours et les articles des patriotes de l’alliance douanière, maritime ou commerciale, selon qu’on voudra la nommer. C’est le malheur des économistes que leur science touche trop à terre pour se montrer jamais à l’état de science pure. « Nous nous sentons fort mal à l’aise, disent aux Hanséatiques les Allemands de l’intérieur ; nous sommes des industriels qui ne pouvons plus fabriquer, des conquérans qui ne pouvons pas encore armer de flotte en guerre. Au nom de quarante millions d’hommes, laissez-nous écouler nos produits, au lieu de nous inonder des produits étrangers dont le colportage a fait votre fortune ; laissez-nous avoir un pavillon, au lieu d’appeler sans pudeur tous les pavillons du monde à l’aide de Votre cupidité. Appauvrissez-vous pour nous enrichir et nous glorifier ! — Tout est au mieux ! répond le mémoire hambourgeois ; nous n’avons pas besoin de fabriques et presque pas de vaisseaux : Brême a chargé l’autre année près d’un tiers de tonneaux plus que nous, et nos affaires ont roulé sur un capital de 215 millions de florins, celles de Brême sur 49. Nous n’estimons pas que le pavillon allemand ait besoin de protection. La concurrence étrangère est en vérité trop médiocre pour qu’il faille l’écarter au prix des dangers inévitables, de la gêne inutile du régime différentiel ; le commerce national se répand suffisamment au dehors sans l’assistance du transit direct. Il y a de l’autre côté des mers trois cent quarante-trois maisons allemandes, dont deux cent vingt-sept nous appartiennent ; que voulez-vous de plus ? Au cas où nous serions d’humeur à nous ruiner pour l’amour de vous, ce serait encore peine perdue. Voici que les bouches de l’Elbe et du Weser se hérissent de ces ports francs que vous regardez comme des nids de pirates. Allons-nous fermer le nôtre ? le Danemark va nous remplacer par Altona, le Hanovre par Geestendorf et Harbourg, par Emden et Leer, Oldenbourg par Brake. Puis, au demeurant, pourquoi nous sacrifier ? Que vous soyez plus ou moins riches et glorieux, la différence ne nous importe guère. Vous vous comptez quarante millions d’hommes qui tous auriez beaucoup à vous plaindre ; mais vous nous mettez du nombre, nous qui ne nous plaignons pas du tout. La patrie allemande est un bel abîme, mais nous craignons un peu de nous y perdre ; nous sommes Hambourgeois, et n’avons point envie de devenir Prussiens. Nous aurions bien quelque orgueil à naviguer sous un pavillon fédéral, mais il faudrait probablement quelque temps aussi pour familiariser le monde avec ses couleurs, et le nôtre est connu ;