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leçons improvisées de la Sorbonne, et qui seraient, eux aussi, capables d’improviser avec rapidité, se condamnent à l’humble et lente dictée, et répètent plusieurs fois, s’il le faut, la phrase mal entendue ou mal comprise ; ils poussent même la patience et le dévouement jusqu’à dicter des cahiers destinés à remplacer les livres que leurs élèves n’ont pas les moyens d’acheter. Rentrés chez eux, c’est à de savans travaux qu’ils consacrent leurs loisirs. L’histoire, l’archéologie, la philologie, la philosophie, la rhétorique, leur doivent de très utiles ouvrages. Le temps qui leur reste encore, ils l’emploient soit à faire des voyages, soit à traduire les meilleurs auteurs de l’Europe, soit à se tenir au courant de la science en lisant les journaux et recueils publiés en France et en Allemagne.

Aussi le nombre des élèves de l’université d’Athènes s’accroît-il chaque année ; les chiffres en font foi. Et pour bien juger de la valeur de ces chiffres, il faut se transporter un instant en Grèce et passer en revue les difficultés sans nombre que les jeunes gens ont à vaincre et pour se rendre à Athènes, et pour y vivre quand une fois ils y sont venus. La plus grande de toutes, et malheureusement la plus commune, c’est la pauvreté. Le gouvernement peut donner l’instruction aux étudians sans rien exiger d’eux ; mais, pauvre lui-même, il ne peut leur fournir ni le logement, ni la table, ni les moyens de se transporter des différens points de la Turquie ou de la Grèce à Athènes. La jeunesse grecque vit de peu ; elle n’a point de vices ; elle ignore encore, elle ignorera long-temps ces besoins factices et dispendieux dont sont dévorés la plupart des élèves de nos écoles supérieures. Pour achever ses études à Athènes, un Grec ne demande absolument que le strict nécessaire, et pourtant ce peu qu’il ambitionne, il ne le trouve pas toujours. Je connais un jeune Smyrniote auquel ses amis, en se cotisant, étaient parvenus à faire une pension de 27 drachmes, un peu moins de 25 fr., par mois. Cela suffisait à sa modeste existence, et il poursuivait avec ardeur ses études médicales. Ce faible secours lui a manqué tout à coup, et il a dû s’arrêter dans une carrière qu’il eût honorablement parcourue. Bien d’autres en sont là, et néanmoins on les voit arriver toujours plus nombreux à l’université au début de chaque année. Outre les étudians libres, qui ne figurent pas sur les registres et qu’on appelle simplement auditeurs, άχροαταί, le nombre des étudians inscrits et réguliers, qui se nomment οφιτηταί, s’est élevé en 1844 à 152, en 1845 à 182, en 1846 à 220. Cette progression croissante nous fait pressentir ce que deviendra l’instruction publique en Grèce quand cette nation sera délivrée du mal de la pauvreté, qui, s’il ne paralyse pas ses forces, gêne du moins et ralentit ses mouvemens. Du reste, telle est l’ardeur de cette intelligente jeunesse, qu’après les cours terminés, elle ne regagne pas toujours la province, mais demeure souvent à Athènes, travaillant pour subvenir aux frais de l’année suivante, et prélevant sur ce qu’elle gagne de quoi payer des professeurs particuliers. C’est là un consolant spectacle. Ceux qui luttent avec ce courage contre les embarras du présent ont en eux ce qu’il faut pour rendre l’avenir meilleur. Déjà l’université d’Athènes a fourni plusieurs sujets distingués au clergé, au barreau, au corps des médecins ; elle a formé des maîtres pour les établissemens d’instruction intermédiaire. Sa création est donc justifiée par les fruits qu’elle a portés, et ceux-là avaient raison qui, jugeant la nation grecque digne de ce grand bienfait, le réclamaient depuis long-temps pour elle.