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lieu des guerres civiles, la légitimation des bâtards après les apothéoses de Versailles ; à la suite de Lionne et de Colbert, formés à l’école des deux grands cardinaux, une succession de secrétaires d’état et de contrôleurs-généraux, qui n’ont d’autre souci que d’exploiter la nation pour faire vivre les courtisans ; les triomphes de Louis XIV aboutissant enfin, sous son triste successeur, à l’abandon de la Pologne, à l’évacuation des Indes Orientales et du Canada, tel est le bilan de cet ancien régime, où les hommes et les choses, les principes et les conséquences restent engagés dans une solidarité humiliante, mais légitime.

Six personnages se dégagent donc, entre tous les autres, du fond de cette grande épopée, au frontispice de laquelle est inscrit le nom de la France : figures bien distinctes quant au caractère individuel qu’elles expriment et au temps où elles se produisent, mais toutes semblables quant à la pensée qui les inspire et à la tâche commune qu’elles poursuivent. L’abbé Suger représente le pouvoir royal au moment où, par son association avec l’idée cléricale, il acquiert l’entière conscience de sa mission politique ; saint Louis est la plus haute expression de la royauté comprise dans le sens chrétien ; Duguesclin ouvre avec son épée les entrailles de la patrie pour en faire sortir un long cri de délivrance ; Louis XI accomplit contre la féodalité apanagère le même travail que Louis IX contre la féodalité baroniale ; Henri IV conserve tous ces grands résultats en faisant avorter le protestantisme ; Richelieu livre un dernier combat et met Louis XIV en mesure d’hériter du travail des siècles. Ce sont là les hommes-principes dans lesquels se condense la vie de tous, et qui résument, sous les formes les plus saisissantes, le long drame de l’histoire nationale.

J’ai cru que des travaux détachés, reliés entre eux par la même pensée, pouvaient présenter de l’intérêt et n’être pas inutiles au progrès des études historiques ; j’ai pensé qu’il y avait quelque avantage à faire toucher au doigt, en lui donnant un corps, la grande idée qui a fait la France, et à suivre le mouvement de cette société dans la vie des hommes qui en ont été les principaux instigateurs. En groupant ainsi l’histoire autour des noms qui l’expriment, je n’ai point prétendu écrire une œuvre d’érudition, car je me suis moins proposé de rechercher des faits nouveaux que de montrer les personnes sous leur jour véritable : il n’est pas un fait de quelque valeur pour lequel je ne sois remonté aux sources en m’édifiant des témoignages contemporains. Je me suis efforcé d’aspirer l’air des siècles et d’y vivre moi-même avec les hommes dont je recherchais les traces, et je n’ai emprunté à notre société nouvelle que l’expérience acquise par les révolutions, étincelant flambeau qui éclaire le passé aussi bien que l’avenir.

L’unité suivant laquelle s’est moulée la France a imprimé à son génie