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à l’administration des provinces et à celle des finances, faisant partout prévaloir cette centralisation dont le germe avait été déposé sous le trône même des Capétiens ; il lui sacrifiait, sans hésitation comme sans scrupule, et les intérêts locaux et les stipulations particulières aux provinces, lors même que ces stipulations étaient consignées dans les contrats qui avaient réglé les conditions de leur accession à la monarchie. Les cours de justice avaient subi le niveau d’un commun asservissement, car la royauté avait cessé de ménager les légistes, du moment où ceux-ci ne lui avaient plus été nécessaires. Enfin, lorsque Richelieu mourut, léguant à Mazarin le soin de continuer son œuvre et de l’achever, il n’était plus donné qu’aux femmes et aux chansonniers de s’élever contre cet absolu pouvoir, qu’il avait rendu inexpugnable au dedans en abaissant toutes les têtes, au dehors en donnant à la France l’Artois et le Roussillon pour boulevards.

Louis XIV rendit sans doute plus éclatant le régime politique fondé par le cardinal, et donna plus de relief encore aux principes d’omnipotence déjà proclamés ; mais au fond il n’ajouta rien à l’œuvre de Richelieu, dont il se borna à tirer et à compléter les conséquences. Le règne de Louis XIV était contenu en germe dans le règne précédent comme un fruit mûr l’est dans sa fleur : le grand roi recueillit sans labeur et sans effort ce qu’avaient semé ses devanciers sur ce sol si profondément ouvert et arrosé de tant de sang. Les succès militaires de Richelieu, les combinaisons diplomatiques de Mazarin préparèrent des conquêtes que ne pouvaient désormais empêcher ni l’Espagne, livrée à une famille décrépite, ni l’Angleterre, aux mains d’une royauté vénale, ni l’empire, si profondément divisé contre lui-même. En assurant la prépondérance de la maison de France sur la maison d’Autriche, le traité de Munster avait décidé d’avance du sort de la Flandre et de l’Alsace, et la paix des Pyrénées contenait en germe la succession d’Espagne : Mazarin avait fait plus que de l’entrevoir, il l’avait formellement annoncée.

A Richelieu s’arrête donc l’œuvre de la constitution territoriale et monarchique de l’ancienne France, et sa sévère figure apparaît à la limite de deux âges comme le géant du Camoëns à la limite de deux mondes. De Louis XIV à 1789 s’étend cette époque de transition, cette ère bâtarde qu’on appelle l’ancien régime, et qui n’a rien ni de la sève du passé, ni de la sérieuse virilité du présent. Ce fut un temps glorieux, sans doute, pour les travaux de l’esprit comme pour ceux des armes ; mais, dans ce mouvement où le XVIIe siècle fit dominer le génie classique, où le XVIIIe fit prévaloir l’esprit cosmopolite, la physionomie de la vieille France disparut sans retour. La Bastille et l’OEil-de-Boeuf au lieu des états-généraux et des parlemens, la rivalité des maîtresses au