Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque complète du territoire. Cette œuvre faillit sans doute être anéantie au règne suivant, et jamais la France ne parut plus près de l’abîme : toutefois la crise qui suivit l’avènement de Philippe de Valois et se termina, en 1370, sous Charles V, par la conquête de toutes les provinces méridionales, doit être distinguée de celle qui commença sous Charles VI pour ne finir qu’en 1453, à la dernière expédition de Charles VII contre les Anglais en Guienne. Dans la première période dont Duguesclin est le centre, c’est la nationalité française elle-même qui est encore en question, car les provinces hésitent entre les deux couronnes comme entre deux pôles qui les attirent presque également ; dans la seconde période, où resplendit le dévouement de Jeanne d’Arc, la France existe, et l’on sent fortement battre son cœur des bords de la Meuse au pied des Pyrénées. Une jeune fille du peuple devient l’expression de la haine à l’étranger et comme l’holocauste de la patrie. Les grands périls qui menacèrent la France durant le long règne d’un roi, en démence furent amenés par des intrigues princières, par des révoltes de famille et des amours adultères, et non plus par l’hésitation des populations elles-mêmes, alors chaleureusement dévouées à cette royauté si indignement trahie par ses soutiens naturels. Les longues rivalités des oncles du roi, les désordres d’une épouse criminelle, la lutte des Bourguignons et des Armagnacs, la funeste prépondérance acquise par une branche de la maison de Valois établie en Bourgogne et devenue à la troisième génération aussi puissante que la branche régnante elle-même, telles furent les causes de l’effroyable crise qui provoqua l’expulsion de l’héritier de la couronne par un ordre arraché à son père et à son roi. Envahie par l’Anglais, trahie et vendue par ses princes, déshonorée par sa reine, la France sentait l’oppression et préparait sa délivrance. Aussi, lorsque Dieu eut suscité la bergère de Domremy pour l’accomplissement de sa mission, cette jeune fille résuma-t-elle en sa personne toutes les forces vives de ce peuple, qui réagissait contre les factions et contre l’étranger avec une irrésistible puissance.

Il était facile d’entrevoir dès cette époque les nouveaux périls que la royauté s’était suscités à elle-même. Les princes du sang royal avaient fini par acquérir sur toute la seigneurie du royaume une prépondérance incontestée. Presque toutes les dynasties provinciales avaient disparu, soit par les réunions à la couronne, soit par l’effet d’alliances habilement ménagées ; aussi la royauté n’eut-elle plus guère pour ennemis que les membres de la famille régnante, et la France assista-t-elle, au commencement du XVe siècle, à la transformation de l’antique féodalité en une sorte de féodalité monarchique assise sur un système d’apanages héréditaires qui changeait en ennemis de la royauté ses appuis naturels.

La création du duché de Bourgogne, donné par le roi Jean à son quatrième