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l’assimilation à sa monarchie des provinces arrachées par lui à Jean-sans-Terre. Une grande partie de ces vastes territoires resta anglaise d’inclination, et les barons continuèrent de préférer le sang d’Anjou au sang de Capet, aimant mieux dépendre d’un suzerain résidant à Londres que d’un monarque demeurant à Paris.

Cependant, si le vainqueur de Bouvines n’avança pas d’une manière notable la constitution intérieure de la monarchie française, il assura son avenir en contribuant à étouffer de la Loire aux Pyrénées l’hérésie formidable dont le triomphe aurait placé les pays de la Langue d’Oc en dehors de la civilisation occidentale et du progrès général des sociétés chrétiennes. Si les doctrines albigeoises avaient prévalu, elles auraient été, au XIIIe siècle, pour l’unité de la France, un obstacle plus invincible que le protestantisme ne l’est devenu au XVIe pour l’unité de l’Allemagne ; car cette hérésie n’était pas un schisme seulement, c’était au fond la négation même du christianisme en tant que culte et en tant qu’église, c’était une doctrine philosophique substituée à une croyance or, si le rationalisme est un germe mortel jusqu’au sein de la civilisation la plus avancée, que peut-il advenir du rationalisme implanté au cœur de la barbarie ?

Dans la poursuite où s’engagea Louis VIII contre l’hérésie albigeoise et la noble maison qui représenta si long-temps cette cause, d’odieuses spoliations et d’horribles cruautés furent, sans nul doute, commises ; mais les violences suscitées par la passion ou par l’intérêt ne légitiment pas plus les causes vaincues qu’elles n’infirment la valeur morale des principes au nom desquels elles sont commises. C’est là la part de la liberté, le compte courant que le Créateur ouvre à chaque créature, et qu’il règle au jour de la justice finale. La révolution française est demeurée légitime dans ses motifs et salutaire dans ses résultats, malgré la sanglante responsabilité imposée à ses auteurs devant Dieu et devant l’histoire ; la soumission des pays albigeois à l’unité catholique reste également un grand service rendu à la civilisation chrétienne et à la France ; la victoire de Simon de Montfort sur le comte de Saint-Gilles fut, en effet, l’expression de l’ascendant conquis pour jamais par la race franque sur les populations méridionales. Du jour où l’hérésie fut étouffée et où le comté de Toulouse passa dans la maison de Capet, on vit tomber la principale barrière entre le nord et le midi de la monarchie.

C’était le petit-fils de Philippe-Auguste qui, entre tous les princes de sa maison, était surtout appelé à consolider, en les développant, les conquêtes territoriales et les progrès politiques de la royauté. Ce prince comprit le premier avec une sagacité merveilleuse l’influence que des institutions civiles habilement combinées ne pouvaient manquer d’exercer à la fois et dans les domaines de la couronne, et dans les provinces