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furent les principaux moyens d’influence et d’assimilation employés par les rois de la troisième race pour accomplir cette œuvre d’un succès si improbable. La grande unité monarchique des âges passés avait répandu sur le monde un éclat qui fascinait les imaginations populaires, même à travers les ténèbres de la barbarie et des siècles. Quoique les rois capétiens eussent renversé les descendans de Charlemagne, leur présence au siège de la domination carlovingienne, le concours que leur prêtait le clergé, et la persévérance de l’église à les présenter comme les successeurs des empereurs, avaient eu pour effet d’assigner aux fils de Hugues Capet une place à part au milieu des dynasties princières sorties des ruines de l’empire d’Occident et qui s’étaient partagé la France.

La féodalité proprement dite n’eut qu’une part secondaire dans la fondation de cette hiérarchie toute d’opinion, qui s’explique beaucoup plus par l’effet de vagues souvenirs que par des obligations d’une nature précise et définie. C’est par les impressions ineffaçables qu’avait laissées l’empire plutôt que par la dépendance féodale qu’il est possible de se rendre compte de cette subordination morale de chefs indépendans à des rois qui disposaient souvent d’une moindre puissance militaire, et dont l’action ne pouvait s’étendre jusqu’à eux. Philippe Ier n’avait donné à fief ni la Guienne ni la Bretagne ; Guillaume d’Aquitaine, non plus qu’Alain Fergent, n’entendaient subordonner leur droit au bon plaisir d’aucun suzerain. Cependant il est incontestable qu’il n’y a pas un seul moment où ces puissans chefs féodaux n’aient, au fond de leur conscience, envisagé les rois établis dans le vieux palais de Paris comme investis d’un titre supérieur et d’une puissance plus élevée que celle qu’ils possédaient eux-mêmes.

Le sacrement de la royauté a exercé durant le cours de ces temps obscurs une fascination dont l’effet n’a pas été calculé par les historiens. La basilique de Reims a été le véritable Capitole de la France. La sainte ampoule a grandi et transformé l’autorité royale, et c’est comme oints du Seigneur plus encore que comme chefs de la hiérarchie territoriale que les rois sont parvenus à rattacher à la couronne des provinces qui en seraient à jamais demeurées séparées, si, à des droits contestés ou prescrits, les princes capétiens n’avaient été en mesure de joindre le prestige d’une puissance qui semblait consacrée par le ciel même. Si c’est en invoquant leur droit de suzeraineté que les rois de France ont conquis pièce à pièce leur beau royaume, c’est dans un ordre d’idées supérieur à celui-là qu’ils ont puisé la force nécessaire pour faire valoir un pareil titre, et l’étude attentive de l’histoire constate que les prestigieux souvenirs laissés par Charlemagne et par la seconde race ont été le principal instrument de l’agrandissement de la troisième.