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de se faire catholique, et ses enfans sont élevés dans la religion chrétienne. L’histoire du vase de Soissons constate quel respect le roi des Francs, encore païen, portait à des croyances qu’il avait d’ailleurs si grand intérêt à ménager. On peut en dire autant de ce que rapporte Grégoire de Tours d’Aprunculus, évêque de Langres, chassé de son siège épiscopal par les Bourguignons, à cause de son dévouement pour les Francs[1]. Les vives sympathies de cet historien pour le peuple dont les succès se confondent toujours à ses yeux avec le triomphe de la religion catholique font comprendre les moyens par lesquels Clovis sut associer étroitement sa cause à celle des populations au milieu desquelles il établit son armée. Ce fut dans le champ arien, rougi du sang des soldats d’Alaric, que fut scellée l’union des Gaules avec la race destinée à donner son nom à ces contrées. La plupart des expéditions de Clovis eurent un caractère religieux : entreprises contre les peuples ariens établis au-delà de la Loire et sur les bords de la Saône, elles furent presque toutes provoquées par le clergé, et la légende, venant dorer de ses rayons ces événemens lointains et obscurs, nous montre, dans les pages naïves du saint évêque, les soldats francs dirigés par des anges et suivant de blanches biches sorties du fond des forêts pour indiquer aux vengeurs de l’église le gué des rivières et les sentiers cachés des montagnes inaccessibles.

De la lutte armée contre l’arianisme est donc sorti le germe de la monarchie, puisque cette lutte a commencé le rapprochement des populations et donné aux évêques des Gaules les mêmes ennemis et les mêmes défenseurs. L’identité de l’intérêt religieux fonda l’unité morale par l’action de l’épiscopat, bien avant que l’unité monarchique fût parvenue à s’établir par l’ascendant de la royauté. L’idée même de la royauté, telle qu’elle s’est produite plus tard en Europe, était alors fort étrangère aux races germaniques, car celles-ci n’avaient pas apporté de leurs forêts l’usage du droit d’aînesse, dont la pratique héréditaire peut seule fonder la monarchie. Si certaines familles étaient spécialement préposées à la conduite des expéditions dans ces tribus si long-temps errantes, de tels commandemens ne représentaient ni la personnalité, ni l’unité de la nation : aussi, pendant tout le cours de la première race, cette unité, exprimée par le clergé seul, résista-t-elle à ces partages incessans, qui apparaissent comme des déchiremens de la monarchie, quoiqu’ils ne fussent, en réalité, que la division naturelle du commandement militaire et des pays conquis par les armes. Ce ne fut que beaucoup plus tard, et dans les désordres qui signalèrent la fin de la deuxième race, que l’on vit se perdre les dernières notions de l’unité primitive du royaume des Francs, tel qu’il avait été constitué

  1. S. Gregor. Turon., Hist. Eccles, lib. II.