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que toutes les autres à devenir le noyau d’une vaste unité politique. L’Italie était restée plus compacte que la Gaule sous le torrent de l’invasion lombarde, et n’avait pas tardé à s’assimiler les barbares, inclinés devant le prestige de ses grandeurs immortelles. L’Allemagne, bien que sillonnée par des peuples d’origine asiatique, s’était, du moins dans les provinces du nord et du centre, maintenue en pleine possession de son caractère, de sa langue et de son génie ; la race germanique, peu entamée par l’influence romaine, n’avait cédé au fléau de Dieu ni le sol ni l’empire ; elle était sortie de ses forêts pour devenir conquérante sans avoir été subjuguée, et pourtant on vit bientôt cette race, dont la nature et les événemens semblaient avoir préparé l’assimilation, donner le spectacle d’une division et d’une impuissance qui se sont prolongées jusqu’à nous.

La science décorée de nos jours du nom pompeux de philosophie de l’histoire a, pour expliquer les destinées différentes réservées aux peuples, des procédés très simples et des argumens péremptoires. Résolue de trouver la raison de tout et de vaticiner sur le passé comme les prophètes sur l’avenir, une certaine école signale tantôt dans les accidens du sol ou les influences atmosphériques, tantôt dans le caractère et le tempérament des peuples, parfois dans l’émail des yeux, la couleur de la chevelure et jusque dans la coupe des vêtemens, ’les causes des plus grands phénomènes, de l’histoire. Pour elle, les. faits usuels, les naïfs détails de la vie domestique, ont mille significations symboliques qui vous échappent et vous confondent ; chaque terroir a sa vertu, chaque race a sa mission, chaque costume a sa portée philosophique, et le tailleur travaille en vertu d’un fiat d’en haut. C’est le, côté hiératique de la nature qui échappe au vulgaire, et dont les arcanes s’entr’ouvrent devant les seuls initiés. Telle province doit fournir des philosophes, telle autre des jurisconsultes, une troisième est la patrie prédestinée des poètes ou des orateurs. Il suffit d’observer la forme de certaines montagnes ou de suivre en rêvant le cours de certains fleuves pour avoir la perception distincte des grandes scènes du passé, et, pour peu qu’on observe avec attention, par exemple, la coiffure des Cauchoises, il est impossible de ne pas deviner la conquête de l’Angleterre par les Normands[1].

La France, pays du bon sens, a fait trop d’honneur à ces ingénieuses pauvretés en leur permettant de s’étaler devant elle avec leurs garnitures de clinquant, au temps même où les études historiques prenaient, sous la plume d’historiens publicistes et d’écrivains hommes d’état, des proportions qu’elles n’avaient pas atteintes jusqu’alors. En prêtant l’oreille à ces puériles affirmations, aussi bien qu’en accoutumant ses

  1. M. Michelet., Hist. de France, t. II.